Pr René Frydman : «Il faut prendre la lutte contre l’infertilité à bras-le-corps »

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Publié le 08/10/2021
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De la naissance du premier « bébé-éprouvette » en 1982 à la greffe d’utérus en 2021, le Pr René Frydman est reconnu mondialement comme un acteur des progrès de la médecine de la reproduction. Il est également éthicien de sa spécialité. Aujourd’hui, il en appelle à une concertation nationale pour combattre l’infertilité. Dans cet entretien, il revient aussi sur le rôle du médecin face aux demandes d'AMP.

Crédit photo : AFP

La mesure phare de l’ouverture de la PMA fait consensus parmi les gynécologues, mais plusieurs points posent question, à commencer par la pénurie des donneurs.

Sur les donneurs, deux questions se posent en effet, à commencer par celle de l’information sur le don de gamètes. Quand la dernière campagne nationale sur ce sujet a-t-elle été lancée ? Il faut un accompagnement public. Si l’on n’a pas dans chaque centre de fécondation in vitro, mais aussi sur les plages, des stands tenus par des médecins, des psychologues, des sages-femmes pour informer les gens sur le don, on va dans le mur, et on s’expose à une surconsommation de sperme danois via internet ! Cela fait cinq ans que nous demandons des mesures concrètes pour l’accessibilité à l’information sur le don sans être entendus !

La deuxième question qui reste en suspens, c’est celle de la gratuité. Pour le don d’organe, le don du sang et tout ce qui concerne le corps humain, nous avons une culture française de la gratuité. Je demande que le maximum soit fait sur le plan de l’information avant que l’on revoie cette règle pour ce qui concerne les gamètes. Défrayer et indemniser, ce n’est pas forcément ouvrir la voie à la marchandisation.

Autre sujet de critique, la restriction au secteur public des centres d’autoconservation.

Pour ce qui concerne la question des centres autorisés à pratiquer l’autoconservation des gamètes pour des raisons non médicales, les centres privés ne sont pas encore concernés. Il faut que les centres privés qui souhaitent obtenir l’autorisation de la conservation puissent être entendus. On doit trouver un juste milieu entre encadrement et renfermement. Quand on dit que pour délivrer une autorisation, il faut vérifier que les centres disposent bien des compétences, du matériel et de la disponibilité, c’est naturel. Mais aujourd’hui, c’est la croix et la bannière pour obtenir des autorisations qui sont délivrées au compte-goutte. Pour prendre l’exemple de Foch (Suresnes), où je travaille, nous n’avons toujours pas l’autorisation, alors que nous sommes parfaitement en mesure d’assurer la conservation suivant les règles.

Nous allons faire une nouvelle demande. Je ne plaide pas seulement pour Foch, mais j’estime qu’il faudrait répertorier tous les centres publics et tous les centres privés qui trépignent, pour savoir dans quels délais ils obtiendront l’autorisation. Il nous faut des réponses très rapides. Et pas des attentes de trois ans !

Qu’est-ce qui bloque ?

Vous savez bien, le pouvoir de décider, la bureaucratie, les mésententes locales entre centres sont déplorables. Si un appel n’est pas tout de suite adressé aux centres qui souhaitent autoconserver, nous allons certainement aller dans le mur.

Il faut aussi revisiter très vite le blocage qui s’applique aux centres privés. Les décrets de la loi ne vont malheureusement pas le lever. Par contre je demande que les autorisations demandées par le public soient immédiatement accordées. Et pas dans trois ans !

L’interdiction des DPI-A est un scandale.

Il y a un autre sujet qui fâche, c’est La question des DPI-A

Il y a deux DPI. Les DPI génétiques que l’on a initiés en France en 2001, quand j’étais à Clamart, qui recherchent les maladies transmissibles et les gènes porteurs de l’un des parents. Ce DPI est en place, mais il est totalement limité, avec un délai d’attente à Paris d’un an et demi au centre autorisé de Clamart, pour passer un DPI qui va marcher à 20 %. C’est totalement incroyable alors que d’autres centres auraient parfaitement les moyens d’intervenir s’ils en avaient l’autorisation. Soyons novateurs : il faut une plateforme génétique comme en Italie ou en Espagne, des centres cliniques organisés en réseaux en fonction des capacités et des moyens pour effectuer les prélèvements et transmettre la cellule prélevée. Faire attendre 18 mois pour recommencer dans 80 % des cas, c’est une perte de chances pour bien des couples. Encore une situation totalement de blocage !

En ce qui concerne le DPI-A, le DPI pour anaploïdie, on quitte la maladie génétique pour évaluer le potentiel de développement de l’embryon et vérifier, indépendamment des maladies que l’on ne recherche pas, on recherche le nombre et l’agencement des chromosomes ; c’est un vrai scandale de l’interdire, c’est une violence faite aux femmes comme aux hommes, alors qu’on sait que 60 % des embryons sont anormaux et même 80 % quand la femme dépasse la quarantaine. On va donc faire des gestes pour rien, on va faire naître de faux espoirs et créer des blessures narcissiques et physiques, avec des complications aux fausses-couches. Ces femmes vont faire la queue aux urgences et on fait travailler les équipes pour rien en embouteillant les urgences.

Toute PMA devrait-elle nécessiter un DPI-A ?

La réponse est non. Un certain nombre d’études multicentriques ont été publiées dans le monde qui montrent que pour les femmes de moins de 35 ans, il n’est pas nécessaire de systématiser ces analyses. Par contre, cela s’imposerait dans différentes situations, comme celles des femmes qui font des fausses-couches à répétition, qui subissent des échecs répétés à l’implantation, ou pour les femmes ayant un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) OPk des femmes qui ont des ovaires multiples. Dans ces divers cas, six à huit embryons sur dix ne pourront jamais s’implanter. On les transfère quand même un à un pour éviter les grossesses multiples et on va perdre par conséquent un an ou un an et demi avant d’obtenir une éventuelle grossesse, car un embryon peut être normal et ne pas s’implanter. Dans toutes ces situations, il est intéressant de procéder à des DPI A.

Les DPI-A ne posent-ils pas certains problèmes ?

Il ne faut pas les nier en effet. Il y a les embryons dits en mosaïques, pour lesquels on ne sait pas exactement s’ils sont susceptibles de se corriger spontanément ou non. Et puis ces diagnostics offrent la possibilité de découvrir une anomalie chromosomique, comme par exemple la trisomie 21.

Que doit faire le médecin quand le seul embryon qui reste présente ce gène ?

Le médecin ne va pas décider, lui, de faire ou de ne pas faire la FIV. Il va informer le couple au sujet de l’expression de la trisomie 21 sur cet embryon et c’est le couple qui va décider comme aujourd’hui il décide en cours de grossesse quand on est amené à réaliser une amniocentèse.

Là, vous vous fâchez avec Laissez les vivre...

Ça fait longtemps ! Alors que le Pr Lejeune lui-même m’avait invité au Vatican... En posant clairement un diagnostic, que ce soit pendant la grossesse ou avant l’implantation, nous ne faisons que délivrer au couple une information à partir de laquelle c’est lui qui prendra sa décision. Nous ne changeons pas de registre éthique, que le diagnostic près natal soit posé sur l’embryon ou sur le fœtus. Les 800 000 futurs parents ont le droit de connaître le statut de l’embryon qu’ils vont porter comme ils ont accès à celui du fœtus.

Pour le DPI-A, si j’avais Jérôme Lejeune en face de moi, je lui dirais : si nous, médecins, nous détenons l’information sur telle ou telle anomalie, nous la transmettons comme cela se pratique déjà pour toutes les grossesses, quel que soit leur mode de conception, le passage par une FIV ne change rien à cette attitude-là. Ce qui est en jeu, ce n’est pas ma position personnelle. Si un couple me demande de transférer un embryon en sachant qu’il est trisomique, je le transférerai si telle est sa volonté.

Encore une fois, 800 000 naissances sont déjà sous ce chapiteau. Le DPI-A se situe juste un temps plus tôt. Ces patientes vont être enceintes et de toute façon, dès lors qu’elles seront enceintes, s’il y a un développement trisomique, il sera détecté au cours de la grossesse et la décision devra alors être prise par les parents de poursuivre ou non cette grossesse.

Recherche génétique et dérives de marchandisation

Concernant la recherche sur l’embryon, la loi prévient-elle le risque de manipulations génétiques et autorise-t-elle la recherche ?

Pour les manipulations génétiques, c’est une question scientifique dont il faut s’assurer de la sécurité et de l’absence de conséquences négatives. Il faut faire de la recherche pour s’assurer qu’une manipulation permet d’enlever un gène porteur d’une affection redoutable n’entraînerait pas d’autres conséquences, même si cela doit se traduire par une prolongation à la descendance. Pourquoi ne traiter que la génération à venir et ne pas traiter, en même temps, pour les générations suivantes ?

Des excès à la course dans l’analyse embryonnaire ne sont-ils pas à redouter, avec leurs implications commerciales ?

C’est un problème général. Incontestablement, une commercialisation s’est installée dans le monde, et elle me perturbe beaucoup. J’ai vu monter ce phénomène inquiétant en Amérique, en Inde, en Espagne. Nous sommes concernés en France comme partout dans le monde, mais dans notre pays, notre spécialité fait l’objet de contrôles qui n’existent dans aucune autre et dans aucun autre pays. Je n’ai connaissance d’aucune entourloupe ni commerciale, ni, d’une façon générale, éthique, les pratiques sont extrêmement encadrées. Il y a une centaine de centres en France, qui observent tous les mêmes règles. Je n’ai pas connaissance d’entourloupes commerciales ou éthiques.

Concertation nationale avec spécialistes, généralistes et associations de patients

Vous militez pour la création d’une task force sur l’infertilité. C'est-à-dire ?

Que ce soit pour l’organisation du don, pour l’autoconservation, pour le DPI, aujourd’hui une concertation nationale est nécessaire de lutte contre l’infertilité. Les médecins et les biologistes de la reproduction, qui sont nombreux en France, ne sont pas représentés en tant que tels dans les diverses instances décisionnaires. De même, les associations de patients, si elles sont consultées à l’occasion, ne sont pas officiellement intégrées dans les instances de décision. Je propose donc que les médecins spécialistes, les associations de patients, mais également les généralistes qui sont bien sûr en première ligne puissent participer à ce que j’appelle une task force française de la lutte contre l’infertilité, pour avancer sur ces sujets.

Il y a aujourd’hui un gap qui ne peut se combler par l’interposition des médias, où les uns et les autres tentent de faire passer le message. Il faut maintenant prendre la lutte contre l’infertilité à bras-le-corps.

Concrètement, qu’est-ce que vous demandez ?

Par exemple, pour la prévention, avec l’autoconservation, il faut vraiment mettre en place des centres d’information pour ne pas se précipiter à la moindre demande vers une réalisation immédiate.

Il faudrait aussi que les jeunes femmes reçoivent de la part de la Sécurité Sociale une information écrite qui leur indique que, passé un certain âge, leur horloge biologique va baisser, de la même manière qu’elles sont informées pour le cancer du sein, les frottis ou les hommes de 50 ans pour le cancer du côlon. L’infertilité devrait faire l’objet de semblables dispositions.

Nous avons réellement besoin d’un plan de lutte contre l’infertilité qui intègre tous ces sujets. Je rejoins pour une maternité et une paternité heureuses une démarche analogue à celle du groupe des 1 000 premiers jours qui avait été conduit en 2020 par Boris Cyrulnik.

Le rôle du médecin face aux demandes de PMA

Jusqu’où les médecins doivent-ils satisfaire le désir d’enfant ?

Il y a deux niveaux de réponse, un niveau personnel, au cas par cas, un niveau qui mérite d’examiner toutes les demandes, auquel est toujours confronté le médecin. J’ai toujours pensé qu’il faut accorder du temps et de l’attention à ces demandes qui prennent au corps, même si elles ne sont pas raisonnables. Et puis il y a un niveau général : jusqu’où va le désir du patient qui n’est pas acceptable éthiquement, quand il utilise quelqu’un d’autre à ses propres fins et quand il façonne l’enfant à sa façon de penser sans lui laisser un espace de liberté.

Ces deux niveaux sont parfois en contradiction l’un avec l’autre…

En effet, pour la GPA, ou à utiliser le corps d’une femme, le clonage et les manipulations génétiques qui visent à s’auto-reproduire, il peut y avoir contradiction. En tant que médecins, nous ne sommes pas là pour résoudre tous les problèmes, quand bien même ils viseraient à répondre aux demandes les plus classiques, comme celles que peuvent nous adresser une femme et un homme de 35 ans : nous sommes confrontés à l’échec, on ne peut pas le gommer et le médecin ne saurait tenter tout ou n’importe quoi pour répondre au désir d’enfant sous prétexte qu’il serait un super-dieu.

L’expertise des médecins ne risque-t-elle pas d’exposer à une autorité de type paternaliste ?

C’est un point délicat. Je pense à un autre aspect de cette formidable spécialité qui a tellement flambé pendant ces quinze dernières années, la médecine anténatale. En même temps le médecin est humain, il réagit avec ses propres affects, mais la décision finale va revenir aux futurs parents. Et il lui est difficile de ne pas prendre cette décision à leur place. Il va leur fournir une information directe sans tourner autour du pot, pas forcément le savoir universel, mais ce que lui, en médecin, ressent. Par exemple, s’il trouve une anomalie chromosomique sur un embryon ou sur un fœtus, car pour moi c’est le même potentiel de vie, le médecin doit donner l’information et laisser les futurs parents décider, puisque ce sont eux qui vont élever cet enfant.

Mais, par exemple pour les grossesses tardives, c’est le médecin qui, au final, va accepter ou refuser une prise en charge.

D’abord, il y a une loi, qui permet de traiter jusqu’à l’âge limite de 47 ans. Par contre, que la femme ait 30 ou 48 ans, c’est le rôle du médecin de dire son opinion. Je me souviens d’une jeune-femme qui avait d’importantes varices œsophagiennes et qui voulait absolument être enceinte, je n’ai pas accepté sa demande de faire une tentative. Je crois qu’il est du rôle du médecin d’aller sur ses convictions médicales, comme sachant, il est seul à même d’évaluer le danger et il a le droit de ne pas faire.

C’est différent avec un embryon qui est là et qui présente une anomalie : on peut informer sur les dangers de la poursuite de la grossesse, mais il ne peut pas prendre la décision.

Pour les prématurés, où mettre le curseur ?

Ce sont des cas où je peux me demander parfois si j’ai délivré les bons conseils, qu’ils aient été suivis ou non. Quand on entre dans une médecine de probabilité ou d’incertitude, on peut conseiller les décisions d’une certaine façon, mais c’est toujours le couple qui prendra la décision finale.

Le comité pluridisciplinaire de médecine anténatale traite environ 5 000 demandes par an faites par des couples qui s’interrogent sur la continuation de la grossesse. 500 demandes sont refusées car elles sont jugées superflues, comme pour les becs-de-lièvre, le sixième doigt, … Mais, ce qui est fascinant, c’est que 500 cas sont acceptés eu égard à l’anomalie signalée, le couple décidant en retour de ne pas suivre l’avis. On voit là que c’est bien lui qui a la dernière décision.

En même temps, le pouvoir de décision peut-il être entièrement délégué aux parents ?

Vous voyez bien que c’est un jeu instable, mais quand j’exprime cet avis, c’est lorsque les parents formulent une exigence abusive. Quand une femme me demande d’intervenir alors qu’on sait médicalement qu’il n’y a aucune chance de réussite, on n’est pas tenu à lui donner satisfaction. Elle peut s’adresser alors à un confrère.

C’est d’ailleurs un point important à souligner : en médecine de reproduction, la certitude absolue est rare; il m’est arrivé d’être surpris avec des femmes de 46 ans, qui avaient fait de nombreuses FIV et auxquelles je ne donnais aucune chance, et qui se sont retrouvé enceintes naturellement. Il faut être souple, mais il faut quand même arrêter une position.

Des lignes rouges en matière de procréation assistée

La loi trace des lignes rouges pour la GPA, pour le clonage ; et pour les manipulations génétiques ?

Le débat est clos pour la GPA et le clonage avec des principes qui ne changeront pas. Pour les manipulations génétiques, il faut faire de la recherche pour s’assurer qu’une manipulation permet d’enlever un gène porteur d’une affection redoutable n’entraînerait pas d’autres conséquences, même si cela doit se traduire par une prolongation à la descendance, pourquoi pas ? Pourquoi ne traiter que la génération à venir et pas traiter en même temps pour les générations suivantes ?


Source : Le Quotidien du médecin