Rhumatismes inflammatoires chroniques

Vigilance en cas de grossesse

Publié le 08/04/2022
Les rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC) ne sont pas sans conséquences sur la fertilité et la grossesse. Mais quels sont les risques et quelle prise en charge adopter ?
Une activité élevée de la polyarthrite rhumatoïde est associée à un délai de conception plus grand

Une activité élevée de la polyarthrite rhumatoïde est associée à un délai de conception plus grand
Crédit photo : Phanie

La diminution de fertilité est suspectée depuis un certain temps dans la polyarthrite rhumatoïde (PR), une activité élevée de la maladie étant associée à un délai de conception plus grand, ainsi qu’à des complications de la grossesse (1). Selon les résultats présentés au congrès de la Société française de rhumatologie (SFR), l’allongement du délai de conception a été confirmé de manière prospective dans la cohorte du Groupe de Recherche sur la Grossesse et les maladies rares (GR2) : plus de 40 % des femmes atteintes de PR présentaient un délai préconceptionnel médian de 19,1 mois alors qu’il est de 3 mois dans la population générale.

Polyarthrite rhumatoïde : Treat to target

L’étude PreCARA a évalué une approche de « treat-to-target » (T2T), avec l'utilisation d'anti-TNFa, de prednisone à faible dose et d'une combinaison de traitements de fond antirhumatismaux (DMARD), chez des patientes atteintes de PR, enceintes ou souhaitant concevoir. Les résultats de cet essai ont été comparés à ceux de l'étude PARA, dans laquelle les patientes étaient traitées selon les standards de l'époque (principalement par sulfasalazine, prednisone ou sans aucun médicament, les anti-TNFa étant très peu utilisés). L'étude PreCARA a inclus 309 patientes atteintes de PR, dont 47,3 % ont utilisé un anti-TNFa lors de la grossesse. Dans la cohorte PreCARA, la proportion de patientes en faible activité de la maladie ou en rémission était de 75,4 % avant la grossesse et 90,4 % au troisième trimestre, alors que dans la cohorte PARA ces taux étaient de 33,2 % et 47,3 %, respectivement. Cette étude montre que la rémission est un objectif réalisable pendant la grossesse lors de l’application du T2T (2).

Spondyloarthrite et rhumatisme psoriasique

Une revue de la littérature avec méta-analyses incluant 21 articles (3), a porté sur 3 566 patientes atteintes de spondyloarthrite axiale (axSpA) et de rhumatisme psoriasique (RPso), et 3 718 grossesses. L’axSpA semble être associée à un risque accru d'accouchement prématuré (OR = 1,64 [1,15 –2,33]), de petite taille pour l'âge gestationnel (OR = 2,05 [1,09 –3,89]), de prééclampsie (OR = 1,59 [1,11 –2,27]) et de césarienne (OR = 1,70 [1,44 –2,00]). Dans le RPso, il semble y avoir plus d’accouchements prématurés et de césariennes.

Pendant la grossesse, une tendance à une activité de la maladie inchangée ou aggravée est observée en cas d'axSpA. Les facteurs associés à une complication de la grossesse ont été analysés dans la cohorte DESIR (4). Sur les 80 grossesses étudiées, 75 % d’accouchement à terme étaient observés, et 15 % de fausses couches ou d’accouchements prématurés. Seuls les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pris pendant la grossesse étaient un facteur de risque de complications, ce qui n’était pas le cas pour les anti-TNFa.

Concernant la fertilité, aucune diminution n’était retrouvée dans l’étude rétrospective de la cohorte DESIR chez les femmes atteintes d’axSpa (4). Mais selon les données de la littérature, les AINS jouent un rôle dans la baisse de fertilité en inhibant COX-1 et COX-2, tous deux nécessaires à la rupture folliculaire (5). Ces données ont été confirmées dans la spondyloarthrite par des analyses de la cohorte prospective GR2 qui montrent que le traitement par AINS en préconceptionnel est significativement associé à un allongement du délai conceptionnel (résultats présentés à la SFR).

Covid-19 : quel effet ?

La grossesse chez les patientes atteintes de RIC est à risque de complications obstétricales en raison de l’activité de la maladie, de l’immunosuppression induite par les traitements, etc. L’infection par le Sars-CoV-2 est donc une inquiétude supplémentaire dans une prise en charge déjà complexe. D’après les données de la littérature, les femmes enceintes atteintes de Covid-19 sont plus à risque d'être admises en unité de soins intensifs ou de décéder que les autres. Cependant, le risque pour les patientes enceintes atteintes de RIC, ou prenant un traitement immunosuppresseur, n’est pas connu. Dans la cohorte C19-GRA (6), 39 patientes enceintes suivies pour un RIC ont été analysées : 10 ont été hospitalisées et seulement 2 ont eu besoin d’oxygène. Aucun décès n’a été constaté. Seulement 7 patientes (hospitalisées ou non) ont reçu un traitement spécifique du Covid-19. Six patientes (15 %) étaient traitées par anti-TNF et 8 (20 %) par corticothérapie pour leur RIC. Le risque de COVID-19 sévère semble donc faible chez les patientes enceintes atteintes de RIC. Aucune d’entre elles n'a eu besoin de soins intensifs ou de ventilation mécanique. Cependant, ces résultats sont à interpréter avec prudence en raison de nombreux biais : faible nombre de patientes (la plupart en rémission), absence de groupe témoin apparié, etc. Il est donc difficile de savoir si la grossesse augmente le risque de Covid-19 sévère chez ces patientes.

*Hôpital Cochin, Paris
** INSERM U-1153, CRESS, Université de Paris
(1) Brouwer J et al. Ann Rheum Dis 2015;74:1836–41
(2) Smeele HT et al. Ann Rheum Dis 2021;80:859–64
(3) Hamroun S et al. Rheumatology (Oxford) 2021:keab589
(4) Pons M et al. Joint Bone Spine 2021;88:105075
(5) Micu MC et al. Arthritis Care Res (Hoboken) 2011;63:1334–8
(6) Bermas BL et al. J Rheumatol 2022;49:110–4

Dr Marion Pons*, Dr Anna Molto**

Source : lequotidiendumedecin.fr