Courrier des lecteurs

Covid-19 : la guerre des planètes

Publié le 17/04/2020

Dans ce contexte anxiogène du Covid-19, le moindre espoir soulève des passions, suscite des controverses. Le buzz déclenché par l’hydroxychloroquine (l’HCQ) en est un exemple. Une étude réalisée par le Pr Raoult, infectiologue reconnu et spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes, a évalué l’intérêt de l’HCQ (associé ensuite à l’azythromicine), chez des patients Covid-19. Les résultats sont spectaculaires mais cet essai comporte d’importants biais méthodologiques et ne répond pas aux standards internationaux de la recherche clinique.

En voici les critiques : faible effectif (26 patients dont 20 traités et 6 perdus de vue, d’où un biais d’attrition), essai ouvert (patients non traités en double insu), non contrôlé (pas de vrai groupe contrôle, résultats comparés à un groupe témoin ayant refusé le traitement), non randomisé (pas d’attribution aléatoire des traitements, bras témoin sans placebo), comparabilité incertaine des deux bras à l’inclusion, critère de jugement non clinique (guérison) mais biologique (charge virale), analyse statistique non ajustée. De plus, la revue qui a publié cette étude a, dans son comité éditorial, des membres de l’équipe Raoult, d’où un conflit d’intérêts.

Alors que cet essai est critiqué par la communauté scientifique, M. Douste-Blazy dans Le Parisien du 3/4/20, exhorte M. Véran à autoriser la prescription d’HCQ. L’argumentaire se base sur l’étude Raoult dont on vient de décrire les faiblesses, et sur une étude chinoise de Renmin (Chen ZW) qui, à cette heure, n’est ni publiée ni validée et semble révéler des biais. Une étude pilote précédemment publiée par une équipe de Shangaï (Chen J), n’a montré aucun bénéfice de l’HCQ.

L’étude multicentrique internationale Discovery, répondant à des normes méthodologiques rigoureuses, va comparer l’intérêt de différents traitements, avec des résultats attendus prochainement. Si cette étude apporte des preuves scientifiques solides de l’efficacité de l’HCQ avec un rapport risque/bénéfice acceptable, on peut s’imaginer que M. Raoult attende impatiemment ces résultats qui conforteraient ses thèses.

Or il n’en est rien, comme le montre son interview dans Le Figaro du 3/4/20 ! Au lieu de cela, il saisit l’occasion pour remettre en cause les bases de la recherche clinique. Pourtant, grâce à ces standards scientifiques internationaux, de nouveaux traitements voient le jour pour bénéficier à des millions de patients, après que leur efficacité et leurs effets secondaires aient été rigoureusement testés. Mais selon lui, « 90 % des traitements des maladies infectieuses n’ont jamais donné lieu à de telles études », ce qui est faux ! Il affirme qu’une étude rétrospective (réalisée a posteriori sans contrôle méthodologique) suffirait à valider l’efficacité de son traitement. Quand on connaît la faible pertinence de ce type d’étude, on peut s’interroger… De tels propos anti-recherche sont dangereux et alimentent les thèses farfelues.

Effet placebo ?

Plus surprenant, le Pr Raoult avoue à mots couverts que « parfois, on peut soulager [les patients] avec des bonnes paroles ou des placebos » ! On en déduit qu’il est intimement convaincu non pas de la pertinence de son traitement mais de l’effet placebo qu’il induit, ce qui est très différent ! On connaît l’importance de ce que nous appelons en recherche clinique, les facteurs confondants : régression vers la moyenne, évolution spontanément favorable, effet placebo. C’est en raison de ces facteurs qu’il est impératif d’étudier l’effet d’un traitement dans une étude contrôlée, randomisée en double insu. Le Pr Raoult non seulement fait fi de ces facteurs, mais il est conscient que l’effet de l’HCQ peut être dû à un effet placebo. Quand on sait que cet effet est au minimum de 30 % voire atteindre 80 % notamment dans un tel contexte où l’HCQ porte autant d’espoir, cela peut expliquer l’obtention de tels résultats ! Si on ajoute l’effet des deux autres facteurs confondants face à une maladie qui guérit spontanément dans 80 % des cas, alors le résultat espéré est atteint in fine !

Cela conduit à une réflexion philosophique intéressante, quand M. Raoult dit que « la médecine, c’est un rapport entre un médecin et un malade. » En fin de compte, l’objectif d’un traitement est de guérir. Il affirme : « Vous croyez que l’OMS recommande l’acupuncture et l’homéopathie ? Non. Et pourtant, parfois, ça marche. », ajoute : « On n’a pas la moindre idée de la manière dont on peut soulager les gens ». Si un placebo est suffisamment efficace, à condition qu’il ne constitue pas une perte de chance pour le patient, n’hésitons pas à l’utiliser. À condition aussi qu’il n’induise pas d’effets secondaires. Or, l’HCQ exposant potentiellement à des effets indésirables, il serait éthiquement inacceptable de l’utiliser comme un placebo.

Selon M. Raoult, « les mondes de la médecine et de la recherche sont sur des planètes différentes ». Moi qui suis médecin clinicien et chercheur en recherche clinique, je vais tenter de les concilier par cette conclusion. Même si pour l’instant, nous ne sommes pas sûrs de l’efficacité de l’HCQ, il ressort de ces premiers travaux qu'à un stade trop avancé de la maladie, il ne sert à rien de traiter par l'HCQ. M. Raoult préconise de traiter à la phase précoce voire en prévention, comme cela se fait dans d'autres infections virales (grippe, herpès). C’est cette préconisation qu’il faut s’atteler à vérifier par des études méthodologiquement solides, en se souvenant que rigueur et humilité sont les qualités du chercheur et du médecin.

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Dr Murielle Mollo, Angiologue, Aix-en-Provence

Source : Le Quotidien du médecin