Réactions sceptiques après le rapport de l’OMS sur l’origine de l’épidémie Covid

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Publié le 31/03/2021
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Crédit photo : PHANIE

Les experts internationaux récemment dépêchés en Chine par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour enquêter sur les origines de la pandémie de Covid-19 ont présenté ce 30 mars le détail de leurs conclusions, déjà présentées lors d’une conférence de presse le 9 février dernier. L’explication privilégiée de l’émergence de la pandémie de Covid-19, qualifiée de « probable à très probable », est celle d’un virus provenant d’une chauve-souris via un animal intermédiaire, encore non identifié à ce stade. Parmi les suspects figurent le chat domestique, le lapin, le vison, ou encore le pangolin ou le blaireau-furet.

Les auteurs n’écartent par ailleurs pas l’hypothèse d’une transmission par de la viande surgelée - piste privilégiée par Pékin -, jugeant ce scénario « possible », ou celle d’une infection directement depuis la chauve-souris, bien que cette dernière hypothèse soit considérée comme peu probable.

Seule l’hypothèse de la fuite du virus d’un des laboratoires de la région est considérée comme « extrêmement improbable », compte tenu « de l’absence de projet de recherche identifié ou connu impliquant des coronavirus proches du SARS-CoV-2 ».

Lors d’une conférence de presse, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a répondu de manière ambiguë aux questions des journalistes, estimant que « toutes les hypothèses restent ouvertes » et promettant d’autres enquêtes, tout en critiquant le partage insuffisant des données par les Chinois.

Le Dr Ben Embarek, qui a dirigé la délégation de l’OMS en Chine, a quant à lui affirmé que « les quantités de données générées jusqu’à notre arrivée et au cours de notre quarantaine et de notre enquête » étaient « incroyables ». Il reconnaît que ses équipes n’ont pas pu avoir accès aux données brutes qu’ils avaient demandées mais qu’« en Chine, comme dans beaucoup d’autres pays, il y a des lois qui protègent ces données, surtout si elles sont destinées à sortir du territoire. L’accès à ces données n’aurait pas été davantage possible dans d’autres pays ». Les auteurs du rapport recommandent que des solutions soient trouvées pour assurer l’accès à l’intégralité des données chinoises lors de futures études.

Les États-Unis doutent aussi

Dans une lettre ouverte publiée chez nos confrères du « Monde », 26 scientifiques remettent en cause l’indépendance et la crédibilité du travail des enquêteurs. Et aux États-Unis, toujours en froid avec la Chine, le secrétaire d’État Antony Blinken a aussi exprimé sur « CNN » ses doutes sur « la méthodologie et le processus de l’enquête conjointe OMS-Chine », pointant notamment du doigt « le fait que le gouvernement de Pékin a aidé à écrire le rapport ».

« Je ne pense pas que la communauté scientifique peut avoir confiance dans ce rapport, compte tenu du manque de transparence dont fait preuve la Chine concernant les sources des données et les relations étroites entre l’équipe d’enquêteurs et le pouvoir politique », a estimé pour sa part Lawrence Gostin, professeur de santé publique à l’université de Georgetown.

Le Dr Éric D’Ortenzio, médecin épidémiologiste à l’Inserm et membre du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard, s’interroge également sur l’indépendance de la commission d’enquête conjointe de l’OMS et de la Chine. « Quand un pays a caché pendant des mois l’émergence du SARS-CoV-1, on peut avoir des doutes, rappelle-t-il. Il y a en plus tellement d’enjeux : savoir quel est le pays à l’origine d’une pandémie mondiale qui va faire date dans l’humanité. »

La piste refroidit

Pour lui, la quête de l’origine de l’épidémie est compliquée près d’un an et demi après son début. « Plus on s’éloigne de la date d’émergence, plus c’est compliqué d’identifier un hôte intermédiaire avec les mutations qui s’accumulent, résume-t-il. A priori, il y a bien un hôte intermédiaire comme on avait la civette pour le SARS-CoV-1 ou le dromadaire pour le MERS-CoV. Pour le SARS-CoV-1, on avait identifié la civette entre 4 et 5 mois après le début de l’épidémie. »

La connaissance de l’origine de l’épidémie est importante afin de mettre en place des mesures de prévention vis-à-vis de l’animal identifié comme étant l’hôte intermédiaire, à l’image de l’interdiction de la vente de civette décrétée en Chine à la suite de l’épidémie de SRAS en 2003.

Lieu et date d’origine encore inconnue

Dans leur rapport, les enquêteurs précisent qu’ils n’ont retrouvé aucun élément en faveur de cas de Covid-19 avant décembre 2019 à Wuhan, malgré l’analyse des dossiers de 76 000 cas d’infections pulmonaires. Toutefois, l’existence de cas non reliés au marché de Wuhan dès le mois de décembre ne leur permet pas de conclure que l’épidémie n’était pas déjà active auparavant. Rappelons que les données de la cohorte française Constances font état de cas en France dès novembre 2019, tandis que des données italiennes estiment que le virus circulait en Italie depuis l’été 2019.

« On ne peut pas parler de contradiction à ce stade, précise le Dr D’Ortenzio. Ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas de trace de cas en novembre qu’ils n’ont pas existé. Les sérologies de la cohorte Constances sont un indice fort d’une circulation du virus plus tôt dans l’année car elles sont complétées par des observations cliniques. » L’épidémiologiste pose aussi la question de l’origine géographique. « Ça peut être Wuhan, ça peut être une autre ville chinoise, insiste-t-il. L’origine peut même être en dehors de la Chine. Il y a des études en cours de publication par l’institut Pasteur du Cambodge qui démontre que des chauves-souris sont porteuses du SARS-CoV-2 dans d’autres pays de l’Asie du sud-est ».


Source : lequotidiendumedecin.fr