La zone d’infestation détermine le phénotype

Tête ou corps, un seul clan chez les poux

Publié le 30/03/2010
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TOUT EST PARTI de là. « Malgré plusieurs stratégies de lutte tentées en quinze ans, nous ne comprenions pas dans notre service pourquoi nous n’arrivions pas à éradiquer les poux de corps chez les SDF, explique au " Quotidien " le Pr Didier Raoult, chef du service des maladies infectieuses au CHU de la Timone à Marseille et chercheur CNRS sur les maladies infectieuses et émergentes à l’Université de la Méditerranée. Ce phénomène semblait très mystérieux. D’où venaient donc les poux de corps ? Pourquoi les gens vivant dans la rue se réinfestaient-ils à coup sûr ? Jusqu’à ce qu’on s’intéresse aux casquettes et aux cols de chemise, où tombent les larves des poux de tête. » Poux de tête, poux de corps, ces parasites ne seraient pas de lointains cousins, mais des vrais jumeaux. L’équipe du Pr Didier Raoult en collaboration avec des scientifiques américains de l’université de Floride vient de montrer que leur génotype est identique et que seul le phénotype change en fonction de l’environnement. En analysant des séquences très variables du génome des poux, les scientifiques ont constaté qu’il n’était pas possible de les différencier sur le plan génétique. La distinction ne tiendrait ainsi qu’à la zone du corps où se regroupent les parasites.

Des variants au même génotype.

L’hypothèse des variants est nouvelle. « Il est envisageable que les différences phénotypiques pourraient être sous le contrôle d’une mutation isolée ou de quelques gènes de régulation », suggère le Pr Raoult. Jusqu’à présent, les deux parasites étaient considérés comme appartenant à des familles différentes. Au prime abord en effet, les apparences sont trompeuses. Les différences concernent de nombreux aspects : morphologie, physiologie et histoire naturelle. Les poux de tête se nourrissent sur le cuir chevelu et pondent dans les cheveux, tandis que les poux de corps s’alimentent sur le reste du corps et vivent dans les plis des vêtements sales. Par rapport à leurs congénères, les poux de tête plus trapus ont des antennes plus petites et plus larges, des pattes plus courtes, des indentations abdominales plus marquées et une pigmentation plus foncée. Plus nettement, les poux de corps sont plus gloutons, ingurgitent des rations de sang plus copieuses, pondent davantage d’œufs et se multiplient plus vite. Sans compter qu’ils résistent davantage dans l’environnement, survivent plus longtemps hors de l’hôte et… sont capables de transmettre des maladies infectieuses.

Un réservoir sans fond.

« Les sujets infestés par les poux de corps sont le plus souvent dans des situations de très grand désarroi matériel et moral, poursuit le célèbre chercheur. Les poux de corps pullulent quand les conditions d’hygiène élémentaire se dégradent rapidement. Dans ces populations extrêmement précaires, les poux se multiplient à une vitesse considérable. On peut compter jusqu’à une centaine de poux par tête ! L’infestation massive favorise par ailleurs la survenue d’épidémies bactériennes, ce que nous avons pu constater à Marseille chez des sans-abri. » Les poux de tête constituent ainsi un réservoir colossal pour les poux de corps. Les œufs pondus dans les cheveux tombent alors dans les cols et dans les vêtements, s’invitent dans les casquettes et bonnets. « Ce n’est pas très compliqué de se débarrasser des poux de corps à court terme, prévient Didier Raoult. Comme l’a montré le Pr Olivier Chosidow, l’ivermectine est très efficace, à la fois sur les poux de tête, de corps et la gale. Le problème, c’est que le traitement n’empêche pas la réinfestation. La prévention à long terme est difficile et complexe, parce que le réservoir est extérieur et ubiquitaire. »

PLoS neglected Tropical Diseases, mars 2010, volume 4.

 Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8739