L'IA, outil de tri des urgences ophtalmo

Publié le 01/07/2022
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Sur l’accès aux urgences, l’ophtalmologie est déjà en avance avec la mise en place d’outils d’intelligence artificielle associée à des téléconsultations. Bilan d’un changement de paradigme (la fin des urgences ouvertes à tous), accéléré par la pandémie.
Comment savoir ce qui relève de l'urgence avant la prise en charge ?

Comment savoir ce qui relève de l'urgence avant la prise en charge ?
Crédit photo : BURGER/PHANIE

Le Pr Karim Tazarourte et le Dr François Braun l’ont affirmé à l’occasion du congrès Urgences 2022 : « l’open bar, c’est terminé… les admissions aux urgences devront être filliarisées… Et pourquoi pas proposer un recours à l’intelligence artificielle pour le tri des patients » ? Alors qu’aujourd’hui de plus en plus de SAU appliquent une politique de pré-tri aux urgences, l’ophtalmologie parisienne fait figure de pionnière avec la mise en place de questionnaires qui permettent de déterminer s’il y a urgence ou non à consulter un spécialiste. Et il semble que cette initiative fonctionne.

Comme l’explique la Société Française d’Ophtalmologie, « le terme "urgences ophtalmologiques" est une expression du langage courant qui évoque une structure de soins prenant en charge les demandes de soins non programmés d’ophtalmologie. Ces structures devraient prendre en charge les items de réelle urgence et réorienter vers des consultations programmées les autres motifs ». Reste que les patients – et bien souvent les médecins non-ophtalmologistes – ignorent bien souvent quelles pathologies nécessitent un avis en urgence, semi-urgence ou différé.

D’où la démarche développée dès 2018 par le Dr Michaël Guedj. Il a d'abord voulu déterminer si les patients présents aux urgences ophtalmologiques de la Fondation Rothschild et de la Fondation Arthur Vernes (Paris) avaient eu raison ou non de se présenter sans rendez-vous. L’analyse comparée des auto-questionnaires remplis et des questionnaires de sortie complétés par les ophtalmologistes a permis d’affiner l’outil d’Intelligence Artificielle à partir des données de 1 000 patients.

L’étape suivante a consisté à tester en pratique quotidienne l’impact de ce questionnaire. Et l’épidémie de Covid-19 a donné une impulsion particulière à ce projet, obligeant nombre de services – dont celui des Quinze-Vingts à Paris- à réorganiser les soins non programmés. Dans cet établissement, un algorithme de tri des patients développé par les médecins de l'hôpital et une société externe a été proposé. « L'objectif était de définir la meilleure orientation pour la prise en charge des patients et leur préciser dans quel délai consulter (immédiatement, à 24h, à 48h, à 72h)», explique le Dr Hugo Bourdon qui a évalué la capacité́ de cet algorithme de tri à̀ prédire le degré d'urgence.

Le patient qui estimait que son état nécessitait une consultation non programmée devait remplir un questionnaire en ligne (accessible sur www.15-20.fr). Les questions portaient sur les symptômes, leur durée, les antécédents médicaux… Le patient recevait ensuite une pré-analyse qui l'invitait soit à se rendre aux urgences, soit à prendre rendez-vous par téléconsultation ou en présentiel. Les patients ont été recontactés par l'équipe médicale afin de préciser s'ils avaient ou non suivi les recommandations de l'algorithme.

Au total, 91 ont rempli le questionnaire. La moitié d’entre eux ressentait des symptômes depuis moins de 24h. Certains ont notifié des antécédents de pathologie du vitré ou de la rétine (14 %), de glaucome (5,7 %) ou de chirurgie récente (4,5 %). Sur l'ensemble des patients inclus, 49 ont été orientés vers les urgences, majoritairement aux Quinze-Vingts. « Dans l’un des cas adressé aux urgences, l'algorithme a surestimé la gravité puisque le patient présentait une conjonctivite », a expliqué le Dr Bourdon. Cinq patients ont refusé de consulter, malgré le caractère urgent déterminé par l’IA.

Les 42 autres patients ont été orientés vers une téléconsultation ou un rendez-vous chez un médecin. Huit patients se sont tout de même présentés aux urgences en dépit d’une autre orientation proposée par l'algorithme. « Pour deux d'entre eux, cette décision s’est révélée judicieuse : un nourrisson et un patient avec de lourds antécédents chirurgicaux. Or l'algorithme identifiait mal ces paramètres », a analysé le Dr Bourdon. La sensibilité de l'algorithme, c’est-à-dire sa capacité à détecter le caractère grave parmi les requêtes qui l'étaient, s’est établie à 96 %. Sa valeur prédictive négative, c'est-à-dire sa capacité à éliminer une urgence grave parmi les demandes, était de 95 %.

Pour le Dr Bourdon, « l'algorithme est un outil de tri puissant pour l'orientation des patients et permet un gain de temps pour lui et le praticien ». Autres avantages : une meilleure gestion des flux des patients car l'équipe médicale possède déjà̀ les données renseignées dans le questionnaire et une optimisation de la filière de soins (orientation vers le centre de la rétine ou centre du glaucome). Toutefois, il doit encore être amélioré pour mieux prendre en compte l'âge du patient et les maladies rares ou cécitantes.

L'équipe a aussi analysé le nombre de téléconsultations aboutissant à une consultation physique chez le praticien libéral. Les patients remplissaient dans ce cas aussi un questionnaire préalable. Au total, 500 ont été inclus. Ils étaient majoritairement jeunes (âge moyen 41 ans) et présentaient des pathologies moins lourdes (conjonctivites, problème de lentilles…) et moins d'antécédents que les autres. Une consultation physique a été considérée comme nécessaire dans 27 % des demandes. « La sensibilité́ était de 96 % et la valeur prédictive négative de 99 % », précise le Dr Bourdon qui estime que l'algorithme de tri et la téléconsultation sont deux outils complémentaires intéressants pour l'organisation des soins non programmés. « L'algorithme donne une réponse immédiate au patient. La téléconsultation permet l'interaction et la délivrance de traitement ».

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin