Hépatites d'étiologie inconnue : la piste des adénovirus décryptée par les chercheurs français

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Publié le 13/05/2022
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Crédit photo : PHANIE

Si le mystère entourant les hépatites pédiatriques d'étiologie inconnue reste encore fort épais, les autorités sanitaires privilégient pour l'heure la piste d'un effet hépatotoxique causé par un adénovirus. Mais quelle est aujourd'hui la crédibilité de cette hypothèse ?

Si les adénovirus ont parfois un double tropisme, respiratoire et gastro-entérique, « leur présence dans le foie reste incertaine in vivo », explique au « Quotidien » le Dr Nicolas Gille, du service d'hépato-gastroentérologie et de cancérologie digestive de l'hôpital Bichat à Paris (AP-HP). Il y a 2 ans, le Dr Gille a mené un travail de recherche systématique, dans le sang et les urines, des virus impliqués dans les hépatites sévères d’étiologie inconnue, basé sur le séquençage à haut débit. À l’époque, le parvovirus B-19 avait été identifié, de même que le virus de la dengue ou celui de l'hépatite E, mais pas les adenovirus.

« Chez l'adulte, et en dehors de cas rares chez des patients immunodéprimés, l'adénovirus n'est pas connu pour être responsable d'hépatites aiguës sévères, insiste le Dr Gille. Toutefois, chez les enfants, le cheminement est un peu différent du fait de leur relative immaturité immunitaire. L’adénovirus ne peut donc être totalement exclu. » Pour le Dr Gille, il est possible que les confinements successifs soient à l’origine d’un déficit de maturité immunitaire chez certains jeunes enfants, ce qui rapprocherait leur cas de celui des patients adultes immunodéprimés.

Autre argument qui ne plaide pas en faveur d'une explication strictement liée aux adénovirus : « En dehors de quelques duos de cas en Écosse, il n'y a pas de transmission interindividuelle ni de chaîne épidémique alors que les adénovirus se transmettent très bien », analyse le Pr Jean-Claude Manuguerra, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence (CIBU) à l'Institut Pasteur (Paris). Selon lui, l'épisode actuel ne répond pas aux postulats de Koch, qui lie une maladie à un pathogène.

Explorer le tableau clinique

Un bon indice de l’implication des adénovirus serait que les hépatites soient précédées d’un tableau clinique compatible avec une infection par ce virus respiratoire (symptômes grippaux, rhinorrhée, courbatures, conjonctivite). « En outre, pour que l’adénovirus migre dans le foie, il faut qu'il soit présent en grande quantité dans le sang, et donc que le nombre de copies retrouvées soit particulièrement élevé », poursuit le Dr Gille.

Or, selon les descriptions cliniques transmises par les autorités sanitaires britanniques (qui rapportent le plus grand nombre de cas à l’heure actuelle), les symptômes respiratoires et la fièvre sont peu fréquents (respectivement 18,6 % et 30,5 % des cas) loin derrière l'asthénie (50 %) les douleurs abdominales (41,5 %) la diarrhée (44,9 %), les selles décolorées (50 %), mais surtout les vomissements (62,7 %) et l'ictère (71,2 %).

Le Dr Gille pense qu’il faudra attendre l’analyse minutieuse des tissus hépatiques extraits lors des prochains cas de greffe de foie ou de décès de jeunes patients pour espérer avoir une réponse claire. « Il faudrait en effet pouvoir procéder de façon prospective à une analyse histologique des foies natifs des malades et éliminer les autres causes d’hépatite », estime-t-il.

Il existe plusieurs mécanismes via lesquels un virus peut générer des lésions hépatiques. « Le virus lui-même peut infecter et détruire les hépatocytes, détaille le Dr Gille. L’autre possibilité est une réponse immunitaire excessive, avec production d’anticorps anti-hépatocytes qui provoque une sorte d’hépatite auto-immune. Il est compliqué de faire la part des choses, d’autant plus qu’il ne faut pas écarter à ce stade les causes toxiques ou métaboliques. »

Une co-toxicité possible

Les autorités sanitaires anglaises et américaines ont avancé la thèse d’une co-toxicité associant un adénovirus à un autre virus ou à une substance encore non identifiée. Une thèse que n’écartent pas le Dr Gille et le Pr Manuguerra : « Il existe des précédents historiques, se souvient ce dernier. Le virus de l'hépatite Delta, par exemple, ne peut se multiplier dans le foie qu'en présence du virus de l'hépatite B. » « On peut imaginer une co-infection par le virus d'Epstein-Barr (EBV) retrouvé chez certains enfants, qui peut avoir potentialisé une toxicité hépatique », ajoute le Dr Gille.

Lors de son dernier briefing technique, l’agence de sécurité sanitaire du Royaume-Uni dénombrait, au 3 mai, 163 cas d’hépatite aiguë inexpliquée, dont 72 % sont porteurs d’adénovirus (et notamment 7 des 8 patients transplantés) et 18 % porteurs du Sars-CoV-2. Sur les 33 cas où l’adénovirus a pu être séquencé, 18 étaient porteurs d’un adénovirus de type 41F. Toutes les analyses toxicologiques sont négatives.

« L’adénovirus est ubiquitaire et, une fois contaminés, les gens le gardent toute leur vie sans qu’ils ne provoquent de symptômes, cela n’est donc pas étonnant de le retrouver chez un si grand nombre de patients », affirment en chœur le Dr Gille et le Pr Manuguerra.

À la date du 10 mai, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé avoir identifié 348 cas probables d'hépatite d'origine inconnue dans 20 pays, et un total de 70 autres cas suspects, recensés dans 13 pays, sont en attente de confirmation.


Source : lequotidiendumedecin.fr