Dr Philippe Fraisse : « À 100 ans, le BCG reste toujours d’actualité »

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Publié le 12/04/2021
La première injection du vaccin BCG chez un nouveau-né a eu lieu en juillet 1921 ! Depuis, on n’a pas trouvé mieux, même si des candidats vaccins sont à l’étude. Le BCG reste, de nos jours, un sujet d’intérêt majeur pour la recherche fondamentale en vaccinologie, comme l’explique le Dr Philippe Fraisse (responsable Santé Publique du Grepi de la Société de pneumologie de Langue française, CHRU Strasbourg).

Crédit photo : DR

L’arrivée du BCG a radicalement changé l’histoire de la médecine.

À l’époque, la tuberculose était la première cause de mortalité chez les enfants ; chez les adultes, elle était la première cause de mortalité par maladie infectieuse.

Les antibiotiques n’existaient pas. Le vaccin BCG a permis de diminuer la mortalité de 75 % et de diminuer la morbidité des sujets atteints de 50 %.

« Aujourd’hui encore, avant l’arrivée du Covid-19, la tuberculose restait la première cause de mortalité infectieuse au monde », précise le Dr Philippe Fraisse, responsable Santé Publique du Grepi de la Société de pneumologie de Langue française, CHRU Strasbourg. Le BCG a rapidement été demandé dans toute l’Europe et, en 1924, l’Institut Pasteur a créé une chaîne de production spéciale pour ce vaccin. « Les deux inventeurs du vaccin, Albert Calmette et Camille Guérin, avaient commencé leurs premiers essais en 1908 et il leur a fallu faire 230 cultures successives avant d’obtenir un bacille atténué, 13 années de recherche… Jusqu’à présent on n’a pas fait mieux pour vacciner contre la tuberculose », souligne le pneumologue.

Une immunité innée « entraînée »

Le BCG fait toujours l’objet de recherches quant à son mécanisme d’action, polyvalent vis-à-vis d’autres infections.

On a en effet remarqué que, dans les pays où la vaccination est régulièrement pratiquée dans toute la population, certaines maladies sont moins fréquentes ou moins graves. « Dans les années 1980 à 1990, on s’est aperçu que, dans les pays où le BCG était obligatoire, certains cancers étaient moins fréquents (mélanome) et que la gravité des autres maladies infantiles était diminuée, ainsi que la mortalité infantile globale. Il apparaît que le BCG provoque des changements épigénétiques ou de reprogrammation des cellules souches du système immunitaire, qui améliorent la réaction du système immunitaire inné face à d’autres infections que la tuberculose. Récemment, cette corrélation a aussi été observée dans les pays africains avec le Covid-19 : les formes de la maladie sont moins graves. Il y a certainement des biais dans la surveillance épidémiologique, la disponibilité des tests PCR… et cela ne veut pas dire que le BCG soit un traitement, ni même un vaccin du Covid-19. Mais cela ouvre la voie à d’autres recherches sur le BCG, pour renforcer l’action des vaccins ou des traitements », explique le Dr Philippe Fraisse.

La lutte antituberculeuse continue

Aujourd’hui, la France est un pays de faible incidence de tuberculose-maladie : en moyenne, sur les dernières années, 7,5 cas/100 000 habitants au niveau national. Mais ce taux est très hétérogène selon les régions : en Guyane, à Mayotte et en Île-de-France, l’incidence peut être jusqu’à trois à 5 fois plus élevée que dans d’autres régions.

C’est ainsi que le vaccin BCG n’est plus obligatoire chez les enfants (depuis juillet 2007). Néanmoins, la vaccination fait l’objet d’une recommandation forte, si possible dans le deuxième mois après la naissance, chez les enfants exposés à un risque élevé de tuberculose (enfant né dans un pays à forte incidence tuberculeuse, vivant en Île-de-France, Mayotte ou Guyane, enfant dont au moins un parent est originaire d’un de ces pays, antécédent de tuberculose dans la famille…). En 2015, le HCSP a redéfini les priorités en matière de populations à vacciner (plusieurs facteurs de risque au lieu d’un seul), en raison d’une pénurie de vaccins. Et, depuis 2019, il n’y a plus d’obligation de vaccination contre la tuberculose pour les professionnels et étudiants des carrières sanitaires et sociales.

« Cette incidence faible de la tuberculose est stable depuis des années maintenant et je pense que l’on a atteint un plancher sous l’effet cumulé des différentes mesures de santé publique de lutte antituberculeuse », souligne le Dr Fraisse. En effet, il existe deux grands types de stratégie de lutte contre la tuberculose, en amont et en aval, qui se complètent.

En amont (prévenir l’apparition de nouveaux cas), il y a trois possibilités d’action : le BCG, traiter des infections tuberculeuses latentes pour éviter la tuberculose maladie et traiter l’immunodépression des patients atteints du VIH pour diminuer la progression d’une infection tuberculeuse latente.

En aval, il faut dépister, diagnostiquer précocement, traiter correctement et isoler en milieu hospitalier les patients contagieux pendant les premières semaines de traitement, pour rompre la chaîne de contamination.

Un retard de vaccination dû au Covid-19

« Selon l’actuelle priorisation de vaccination, on estime qu’il faudrait vacciner 300 000 enfants par an en France. Or, dans ces populations prioritaires, le taux de couverture vaccinale varie de 60 à 90 % et la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’accentuer ce retard. Les activités des Centres de lutte antituberculeuse (Clat), des centres de vaccination et des centres de PMI ont chuté. Il y aura un rattrapage à faire. Il faut être très vigilant », ajoute le Dr Fraisse.

Enfin, une bonne nouvelle : il n’y a plus aujourd’hui de pénurie de vaccin ; il est donc envisagé de rendre, à nouveau, le BCG disponible en officine de ville.

Entretien avec le Dr Philippe Fraisse, responsable Santé Publique du Grepi de la Société de pneumologie de Langue française, CHRU Strasbourg

Dr Christine Fallet

Source : lequotidiendumedecin.fr