Mépris des droits et des règles des soins sans consentement : un centre de santé mentale de Lens épinglé

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Publié le 01/03/2022
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Crédit photo : S.Toubon

Atteintes aux droits des patients, mesures d'isolement et de contention arbitraires et abusives, défaillances dans le contrôle juridique… Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) alerte, dans un avis rendu public ce 1er mars, sur la situation du centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin (CSMJBP), à Lens (Pas-de-Calais). Il l'appelle à prendre des mesures en urgence pour assurer le respect de la dignité, de l'intégrité et des droits des patients, et à lancer un plan de transformation qui doit être accompagné par les autorités de tutelles, tant les dysfonctionnements sont graves et anciens, et le personnel, non formé.

Six contrôleurs ont visité le CSMJBP à Lens entre le 10 et 14 janvier 2022, et ont pointé des dysfonctionnements dans toutes les unités, résultant d'une « absence de pilotage global ».

Non-respect de la liberté d'aller et de venir, de l'intimité, de l'intégrité

Les droits fondamentaux des patients sont bafoués, dénonce le CGLPL, à commencer par celui d'aller et venir, surtout lorsque les soins sont libres. Les patients sont enfermés dans les locaux, sauf entre 13 h 30 et 16 h 30, et encore, ils ne peuvent sortir de l'enceinte du CSMJBP close par de hautes grilles.

Ni l'intégrité ni le respect de leur vie privée ne sont assurés : les résidents ne peuvent pas fermer à clé leur chambre ni leur espace sanitaire, l'eau chaude ou le chauffage sont sporadiques. En outre, ils ne peuvent appeler à l'aide, puisque le dispositif d'appel en chambre a été volontairement désactivé. Plusieurs personnes hospitalisées, dont une jeune femme et un mineur, ont signalé ou déposé plainte pour des faits de harcèlement et d’agressions en chambre, en journée ou la nuit, lit-on.

Absence de projets de soins

L'évaluation médicale des patients fait défaut à plusieurs niveaux : dès les urgences, certains patients sont contentionnés sur des brancards et orientés en soins sans consentement au CSMJBP sans évaluation médicale psychiatrique ; puis au sein des unités, le projet de soins n'est pas défini, rien n'est anticipé pour éviter les situations de crise. Les patients et personnes de confiance ne sont pas sollicités, les décisions ou le consentement aux soins des patients ne sont pas tracés dans les dossiers médicaux. L'administration d'un traitement peut se faire sans examen médical, puisque des prescriptions de traitements pharmacologiques portant l'inscription « si besoin » persistent. La force est parfois employée, ont constaté les contrôleurs, sans que les médecins présents ne soient appelés ni même avisés.

Dans la même lignée, adultes comme mineurs font l'objet de mesures d'isolement et de contention arbitraires, mises en œuvre dans des conditions indignes : les deux chambres d'isolement, mal chauffées, ne disposent d'aucune horloge, ni de dispositif d'appel, ni d'ouverture possible, alors que le patient est exposé à la vue de tous par l'œilleton de la porte. Ces mesures sont en outre pratiquées indistinctement en chambres hôtelières.

De l'isolement et de la contention sans médecin

Le CGLPL dénonce l'absence de politique d'alternative à ces pratiques, considérées par l’ensemble des soignants - non formés - comme des prescriptions et non des décisions médicales susceptibles de recours. « On nous a dit parfois que ça n’était pas légal, mais on ne nous dit pas quoi faire d’autre », témoigne un professionnel. Les contrôleurs déplorent que la direction, loin de chercher à rectifier ces dérives, les banalise en diffusant des documents contraires à la loi (l'un prévoyant par exemple une contention de 24 heures).

Alors que ces mesures doivent être strictement encadrées, elles sont pratiquées au CSMJBP en dépit des règles juridiques : elles ne sont pas inscrites (ou trop mal) sur le registre, le juge des libertés et de la détention (JLD) n'en est pas informé, des personnes en soins libres peuvent être isolées de manière récurrente (alors que ces mesures ne doivent s'appliquer qu'en soins sans consentement), les durées légales de ces mesures ne sont pas respectées (les contrôleurs ont relevé 110 heures de contention pour un patient en 2020 !) tout comme les procédures de renouvellement, les patients ne sont pas informés de leurs droits… Les psychiatres sont très souvent absents des décisions (prises par « l'équipe »), sans qu'ils ne viennent les valider, les contrôler a posteriori ou les réévaluer. « Les psychiatres ne se déplacent pas toujours pour examiner un patient isolé en journée, et encore moins la nuit pendant le temps de leur astreinte opérationnelle », lit-on.

Quant aux mineurs, ils subissent aussi des mesures d'isolement et de contention inadaptées. Leurs droits ne sont pas mieux respectés, et aucune réflexion sur leurs spécificités n'est engagée.

« Les mesures d’isolement et de contention, pratiquées à grande échelle, sans respect des droits des patients et sans décision ni réévaluation médicale, doivent cesser immédiatement », cingle le CGLPL.

Enfin, c'est tout l'encadrement des soins sans consentement, théoriquement contrôlés par le JLD, qui est défaillant, déplore le CGLPL : les patients ne reçoivent aucune information, les certificats médicaux manquent de rigueur et ne sont pas toujours délivrés dans les délais obligatoires, l'accès au juge est souvent entravé (la comparution est souvent déclarée comme incompatible avec l'état du patient, eu égard au risque de fugue, un motif qui n'est pas valable car non médical, selon le CGLPL), les audiences ne respectent pas le contradictoire et ne peuvent se fonder sur des dossiers complets, les décisions ne sont pas toujours suivies d'effets. Ainsi, une décision de mainlevée n'a été mise en œuvre que 23 jours plus tard.

Dans un courrier à la Contrôleure générale Dominique Simonnot, le Garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti a regretté « profondément » le non-respect de cette décision de mainlevée. Plus globalement, il a indiqué qu'une instruction sera prochainement diffusée pour clarifier l'équilibre à trouver entre risque de fugue et comparution à l'audience. 


Source : lequotidiendumedecin.fr