Santé mentale en France : le réquisitoire de l'Institut Montaigne

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Publié le 08/12/2020
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12 millions de personnes touchées

12 millions de personnes touchées
Crédit photo : Phanie

Coupure délétère entre médecine somatique et psychiatrie, vision hospitalo-centrée, généralistes peu reconnus : alors que les maladies psychiatriques touchent 12 millions d'individus et que la crise sanitaire aggrave les troubles, l'Institut Montaigne publie aujourd'hui un rapport alarmant sur la santé mentale en France.

L'opus de 77 pages du think tank libéral appelle à « relever le défi » de la santé mentale en intégrant pleinement la médecine de premier recours dans une approche collaborative mais aussi en favorisant le remboursement des psychothérapies.

Cloisonnement

Le réquisitoire est implacable. L'Institut Montaigne pointe le cloisonnement entre la santé physique et la psychiatrie, avec une perte de chance pour les patients et des effets « catastrophiques » sur l’espérance de vie. Les personnes atteintes de maladies psychiatriques sévères meurent en moyenne « entre 9 et 18 ans plus tôt » que le reste de la population. Et « entre 40 et 60 % » des personnes souffrant de troubles mentaux ne reçoivent aucun traitement. Cette coupure entre deux mondes du soin est d'autant plus grave que les deux tiers des personnes concernées par les troubles mentaux souffrent d’une maladie physique chronique (diabète, maladie cardiovasculaire), rappelle l'auteure du rapport Angèle Malâtre-Lansac, directrice déléguée à la santé.

L'étude souligne la « coordination extrêmement défaillante » entre médecine générale et psychiatrie. Alors que 20 à 30 % de la patientèle des généralistes présente des troubles psychiatriques, ces derniers restent souvent démunis. Outre les temps de consultation trop courts, « rares sont les maisons de santé ou les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui regroupent en leur sein une expertise dédiée à la santé mentale ou qui ont un lien fort avec le secteur de psychiatrie et les centres médico-psychologiques (CMP) voisins », lit-on. La France est le pays européen où l’adressage du généraliste au psychiatre « est le plus faible » (22 %). Moins de 6 % des patients en CMP adultes ont été adressés par des généralistes. La communication est jugée « peu fluide » et les délais d'attente souvent très longs.

D'autres modèles sont possibles, illustre l'Institut Montaigne. Aux Pays-Bas, le généraliste est au cœur des soins de santé mentale avec un schéma de soins gradués. « Les problèmes légers à modérés (stress, anxiété ou dépression) sont traités dans le cadre des soins primaires », lit-on. Dès 2007, la fonction « professionnel de santé mentale en médecine générale » a été créée (POH-GGZ, formé au soutien social, à la psychologie ou aux soins infirmiers), auxiliaire dont 90 % des généralistes disposent au sein de leur cabinet. Le modèle américain des « soins collaboratifs » a aussi pour principe d'épauler le généraliste avec un « care manager » (le plus souvent infirmier) et un psychiatre à distance pour une prise en charge « globale et populationnelle ».

Incitations

À la lumière de ces exemples, l'auteure préconise une implication plus forte de la médecine de premier recours. « L'idée est vraiment de mieux équiper la médecine de ville, en première ligne face aux troubles psychiques, qui vit de surcroît un moment particulier de structuration avec les CPTS ou les maisons de santé, pour mieux intégrer la prise en charge de la santé mentale », explique Angèle Malâtre-Lansac.

Elle appelle à favoriser le recrutement de professionnels de santé facilitant la prise en charge de la santé mentale auprès des médecins de famille — comme les infirmiers coordinateurs, de pratique avancée (IPA) ou les care managers. Il convient aussi de nouer davantage de liens entre les secteurs de psychiatrie et la médecine générale. Des « incitations » pourraient être instaurées dans le cadre des CPTS et des projets territoriaux de santé mentale. Autre piste : inciter les généralistes au dépistage de la dépression et des troubles anxieux à travers leur rémunération sur objectif de santé publique. 

Côté patients, l'étude recommande d'étendre le remboursement de psychothérapies adaptées. Ce modèle est expérimenté chez les jeunes de moins de 21 ans depuis 2017 (10 séances gratuites chez le psychologue libéral) et pour les adultes de moins de 60 ans sans antécédents psychiatriques (Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Landes et Morbihan). Une meilleure formation des professionnels aux psychothérapies et le recours aux outils numériques sont aussi recommandés.  

Marie Foult

Source : Le Quotidien du médecin