Cancer du côlon : faut-il revoir le dépistage organisé ?

Publié le 07/05/2020
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Traditionnellement à l’honneur au printemps à l’occasion de « Mars bleu », le dépistage du cancer du côlon a été éclipsé cette année par le coronavirus. Pour autant, plusieurs pistes sont à l’étude pour optimiser le programme français et favoriser l’adhésion de la population concernée, alors que les taux de participation restent insuffisants.
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Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Les derniers chiffres de la ROSP en témoignent, les dépistages organisés des cancers peinent à s’imposer. Le dépistage du cancer du côlon ne fait pas exception, avec un recul de 0,9 point en 2019 par rapport à l'année précédente.

Taux de participation en berne

Les difficultés d’approvisionnement en tests immunologiques rencontrées ces dernières années ont sans doute participé au phénomène, mais le mal semble plus profond, avec des taux de participation en berne depuis plusieurs années.

Pour la période 2017-2018, l’Institut national du cancer (Inca) évalue ainsi à 32,1 % le taux de participation au dépistage organisé, contre 33,5 % pour la période précédente. Au final, sur les 17 millions de personnes concernées par le dépistage, seules 5,5 millions ont réalisé le test.

Le passage, en 2015, du test au gaïac (Hemoccult) au test immunologique fécal (FIT), plus simple d’utilisation et plus performant (2,4 fois plus de cancers détectés et 3,7 plus d’adénomes avancés), n’a donc pas eu l’effet escompté.

Le constat est un peu moins sévère si l’on tient compte des coloscopies effectuées pour la même tranche d’âge, en prévention plutôt qu’en dépistage, chez les personnes à haut risque (antécédents personnel ou familial de cancer, d’adénome ou de maladie inflammatoire du côlon) ou à très haut risque (Lynch, polypose adénomateuse familiale). « Lorsque l’on associe les deux (FIT et coloscopie), on parvient à un taux de participation d’environ 50 % », indique le Dr Patrick Delasalle, président du Conseil national professionnel d’hépato-gastro-entérologie (CNP-HGE).

Quoi qu’il en soit, en 2018, en dépit d’un taux de participation relativement bas, plus de 43 000 personnes ont eu un cancer colorectal détecté grâce au seul test FIT. Un travail de modélisation de l’Inca a estimé pour la première fois les gains en termes de morbi-mortalité de la campagne de dépistage organisé dans sa configuration actuelle (FIT au seuil de 30 µgHb/g, tous les 2 ans). Avec le taux de participation actuel, 2 200 nouveaux cancers et 2 600 décès sont évités chaque année, des données qui confortent l’aspect coût-efficace du programme national. Un taux de participation à 45 % (taux minimum « acceptable » européen) permettrait d’éviter 3 500 cancers colorectaux et 4 000 décès, et un taux de 65 % (taux minimum « recommandé »), 5 700 cancers colorectaux et 6 600 décès.

Repenser le circuit de distribution des tests

Afin d’améliorer la participation au dépistage, l’Inca a plusieurs cartes dans sa manche, en particulier « élargir l’accès au test FIT en autorisant la remise du kit de dépistage par les pharmaciens d’officine, plus facilement accessibles que les généralistes ou les spécialistes », indique Stéphanie Barré, responsable de la coordination des programmes de dépistage à l’Inca.

Une stratégie efficiente à condition que la rémunération de ces professionnels ne dépasse pas une dizaine d’euros par remise de test. Une expérimentation est en cours dans plusieurs régions comme les Hauts-de-France, d’autres viennent de se terminer (Bretagne, Île-de-France, Guadeloupe et Corse). Une autre stratégie envisagée, déjà adoptée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, est l’envoi du test au domicile des personnes éligibles, directement avec l’invitation. Elle pourrait être expérimentée prochainement, indique l’institut. Quant à la commande en ligne, via un site internet institutionnel, elle est également à l'étude.

En 2018, une première étape avait déjà été franchie avec l’extension de la remise du test (jusque-là limitée aux généralistes) aux hépato-gastro-entérologues et aux gynécologues ainsi qu'aux centres d'examens de santé, mais il est encore trop tôt pour en mesurer les effets.

Il faudra également patienter pour obtenir une évaluation fiable d’une seconde mesure récente, qui est l’envoi du kit de dépistage mais cette fois-ci lors de la seconde relance. Ce dispositif, qui existait avec le test Hemoccult, avait permis de gagner quelques points de participation. Cet envoi se fait auprès des personnes ayant participé au moins une fois au dépistage au cours des trois dernières campagnes.

Test immunologique ou coloscopie ?

Au-delà de ces évolutions organisationnelles, certains s’interrogent sur la nécessité de faire évoluer le dépistage sur le fond, avec notamment une réflexion sur la place des différents moyens de dépistage.

Selon l’Inca, le test FIT actuel au seuil de 30 µgHb/g, chez les personnes à risque moyen, est le plus efficace sur la mortalité et le plus coût-efficace. En effet, dans cette population, la coloscopie tous les 10 ans serait associée à des résultats inférieurs, du point de vue de l’efficacité comme de l’efficience. D’ailleurs, dans le monde, peu de pays ont opté pour l’examen endoscopique en dépistage pour tous.

En revanche, pour les personnes à risque élevé, la coloscopie reste l’examen le plus efficace pour prévenir un cancer, même s’il est le plus coûteux. La polypectomie permet en effet de réduire le risque de cancer de 70 à 90 % à 5 ans. Une étude multicentrique française est en cours pour évaluer une stratégie alternative à la coloscopie dans cette population à haut risque : le FIT annuel et la vidéocapsule colique.En attendant les résultats, d’autres scénarios sont envisagés, fondés à ce stade sur des équations de modélisation. « Pour les personnes à haut risque, on pourrait imaginer le passage à une stratégie fondée sur le FIT à un seuil plus faible et donc plus sensible (ex : 10 µgHb/g) que le FIT actuel (30 µgHb/g), après une coloscopie négative (ou d’emblée si refus de la coloscopie ou chez les patients non observants), précise Stéphanie Barré. Une solution d’autant plus intéressante qu’elle permettrait peut-être d’obtenir un meilleur suivi de ces personnes. »

Vers une stratégie plus ciblée ? 

La possibilité d’utiliser une équation de risque pour classer l'ensemble des individus entre 50 et 74 ans en cinq niveaux de risque est aussi dans les tuyaux, alors que plusieurs échelles de risque existent déjà, tel le score de Kaminski. Cela permettrait de faire varier la fréquence et la sensibilité du test en fonction du risque individuel, allant d’un FIT (30 µgHb/g) tous les 2 ans ou de la sigmoïdoscopie tous les 5 ans à un FIT tous les 2 ans au seuil de 10 µgHb/g, avec ou sans coloscopie initiale. « D’après les modélisations, cela constituerait également une démarche efficiente, glisse Stéphanie Barré. L’objectif serait de proposer à chacun la stratégie la plus adaptée à son niveau de risque, tout en intégrant enfin les personnes à haut risque dans le dépistage organisé. »

Une approche ciblée déjà plébiscitée par une partie de la communauté scientifique. Estimant que « le dépistage devrait être recommandé aux seules femmes et hommes ayant un risque cumulé de 3 % voire plus, dans les 15 années », un panel d’experts internationaux a ainsi appelé récemment dans le BMJ à remettre en cause « le dépistage pour tous tel qu’il se pratique aujourd’hui ».

L’âge du dépistage en question

La réflexion porte aussi sur l’âge du dépistage. Actuellement, l’entrée dans le programme est fixée à 50 ans, la très grande majorité (95 %) des cancers coliques survenant au-delà. Cependant, plusieurs études ont pointé récemment une augmentation de la prévalence des cancers chez les plus jeunes, amenant certains gastro-entérologues à plaider pour un avancement de l’âge du dépistage. D’ores et déjà, aux États-Unis, l’American Cancer Society préconise de débuter le dépistage dès 45 ans.

À l’inverse, il a aussi été envisagé de retarder l’âge d’entrée dans le dépistage pour les femmes, dans la mesure où il existe chez elles un léger décalage de l’incidence des cancers coliques. « Nous avons testé cette hypothèse, renseigne Stéphanie Barré : l'impact en termes d’incidence du cancer et de la mortalité liée est finalement très faible. Cette stratégie n’est pas efficiente, et serait par ailleurs difficile à mettre en œuvre. »

Du côté de la borne supérieure, les analyses montrent que le recul à 80 ans n’est associé à aucun gain d’efficacité ou d’efficience. « Selon la modélisation de l’Inca, il n’y a plus d’intérêt collectif à dépister en masse passé l’âge de 75 ans, affirme Stéphanie Barré. L’évolution du cancer est lente et les causes de mortalité "compétitives" nombreuses. Mais le dépistage individuel est toujours envisageable si le médecin le juge nécessaire pour ses patients. »

L’approche centrée patient, un levier pour améliorer l’adhésion au dépistage ?

Pour le Dr Isabelle Aubin-Auger, médecin généraliste et investigatrice principale de l’étude Forceps*, « nombreux sont les patients qui ne se font pas dépister par méconnaissance, fausses croyances ou négligence ». Dès lors, « à nous de comprendre les freins au dépistage et de les lever », estime cette généraliste qui plaide pour « une approche centrée patient (à partir des connaissances du patient, de ses réticences…), à l’opposé du discours standardisé ».

L’étude Forceps, en cours, tente justement d’évaluer l’impact de cette approche sur les taux de participation après une formation spécifique des médecins généralistes. Des praticiens volontaires de 14 départements ont été inclus dans une étude comprenant un groupe formation (présentiel, e-learning) et un groupe témoin. « À un an de ce volet formation, nous sommes en train de recueillir les données auprès de la Cpam et des structures de gestion afin de voir si la formation a amélioré le taux de participation au dépistage. » À suivre…

*Formation des médecins généralistes à l’approche centrée patient dans le dépistage du cancer colorectal

Hélène Joubert

Source : lequotidiendumedecin.fr