Congrès de l'EASD 2020

La diabétologie au-delà du diabète

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Publié le 09/10/2020
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Covid-19, lésions hépatiques, prévention de l’insuffisance cardiaque et de la dégradation rénale… Cette année, le congrès européen de diabétologie, qui s’est déroulé fin septembre, a abordé de nombreux sujets transverses avec d’autres disciplines. Réunissant de manière virtuelle plusieurs milliers de praticiens des quatre coins du globe, cette édition 2020 a permis de dépasser les frontières géographiques mais aussi entre spécialités.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Covid-19 et diabète : gare au déséquilibre glycémique

Actualité oblige, le denier congrès européen de diabétologie (congrès de l’EASD) a fait la part belle au SARS-CoV-2, avec toute une session consacrée aux particularités du Covid-19 chez les personnes diabétiques, alors que ce sujet a déjà fait l’objet de plus de 1 800 publications dans PubMed depuis le début de la pandémie. Le Pr Juliana Chan (Hong Kong) s’est penchée sur les principaux facteurs de risque de mortalité, déjà bien connus, qui « comprennent l’âge avancé et les maladies chroniques, notamment l’obésité, l’hypertension, les maladies cardiaques ou rénales et le diabète ». Selon une enquête conduite au Royaume-Uni à partir des données du système de soins primaires, parmi plus de 24 000 décès dus au Covid-19, 30 % sont survenus chez des diabétiques. En France, les premières données de l’étude Coronado montrent que les diabétiques hospitalisés pour Covid-19 sont en majorité atteints d’un diabète de type 2 (89 %), âgés, corpulents et comorbides, avec un taux d’intubation de 20,3 % et de décès de 10,6 %.

Si la présence d’un diabète augmente le risque de forme grave, le niveau de contrôle de la maladie semble aussi jouer un rôle majeur. Une majorité des publications attestent en effet que des taux de glycémie élevés sont péjoratifs vis-à-vis de la ventilation mécanique, des admissions en unité de soins intensifs et du décès en cas de Covid-19. Pour le Pr Daniel Drucker (Toronto, Canada), « un meilleur contrôle glycémique est donc indispensable car semble modifier la gravité du Covid-19 ».

Le déséquilibre glycémique entretient une inflammation de bas grade et des perturbations du système immunitaire et de la circulation sanguine. « Lors d’un stress aigu tel que le Covid-19, ces systèmes sont encore plus déstabilisés, poursuit le Pr Chan, d’où une glycémie incontrôlée et une défaillance multi-organes. »

Par ailleurs, le SARS-CoV-2 peut endommager les cellules bêta-pancréatiques. « En tant que tel, le Covid-19 pourrait donc précipiter le diabète chez les personnes présentant des facteurs de risque tels que ceux souffrant d’obésité. »

La NAFLD, une complication « négligée » du DT2

Plusieurs communications du congrès étaient consacrées aux spécificités de la maladie hépatique non alcoolique chez le diabétique de type 2 (DT2). Dans cette population très exposée, la maladie du foie se manifeste principalement par une stéatose hépatique non alcoolique (ou NAFLD), avec une prévalence doublée voire triplée comparée aux non diabétiques (57-80 % contre 34 %). « En plus de sa forte prévalence dans cette population, la NALFD a aussi une plus forte propension à évoluer vers la NASH et la fibrose, a souligné le Pr Michael Trauner (Vienne), puisque 30 à 40 % (jusqu’à 78 % dans certaines études) des diabétiques de type 2 avec une NAFLD développeront une NASH et 10 à 15 % (jusqu’à 50 % dans certaines études) une fibrose avancée. » En corollaire, le risque d’insuffisance hépatique est augmenté (x 1,6) et la maladie hépatique non alcoolique représente entre 4,4 et 12,5 % des causes de décès chez les diabétiques de type 2, par cirrhose et carcinome hépatocellulaire (risque de CHC multiplié par 2 à 4). Dans cette population, la cirrhose, et même le stade pré-cirrhotique de la NASH, conduisent au CHC dans 35 % des cas.

Les facteurs favorisant la maladie hépatique et sa progression sont le style de vie, la génétique pour 20 à 30 % (de nombreux variants ont été identifiés dont ceux du gène PNPLA3, codant pour l’adiponutrine, une protéine d’expression adipocytaire) mais aussi les comorbidités métaboliques et même le microbiote intestinal.

Les facteurs métaboliques comme l’insulinorésistance et le diabète de type 2, l’hypertension, l’obésité centrale et les dyslipidémies sont particulièrement impliqués avec une relation dans les deux sens. En effet, si « la présence d’un DT2 accélère la progression de la NAFLD, la présence d’une NAFLD aggrave la dyslipidémie athérogène et rend plus difficile le contrôle de l’hyperglycémie », explique Michael Trauner, avec, entre autres, « une augmentation de la résistance à l’insuline, des cytokines inflammatoires, des triglycérides et du LDL-cholestérol, du fibrinogène, du facteur VIII et du PAI-1 ainsi que la baisse du HDL-cholestérol. »

Faut-il pour autant mettre en œuvre un dépistage de la NALFD chez tous les diabétiques ? Pour le moment, la question n’est pas tranchée et les sociétés savantes restent plutôt prudentes. Selon les recommandations EASL-EASD-EASO, chez les personnes à haut risque (diabétiques de type 2, syndrome métabolique), il est conseillé de déceler les cas de maladie avancée. Pour l’Association américaine du diabète (ADA), les patients ayant un DT2 ou un pré-diabète avec des enzymes hépatiques élevées ou une stéatose vue aux ultrasons devraient être évalués pour repérer une NASH ou une fibrose hépatique.

Sans prôner un dépistage systématique, le Pr Trauner appelle à s’intéresser davantage à cette « complication négligée du DT2 » et au foie des diabétiques de type 2, du fait des complications cardiométaboliques potentielles mais aussi du risque de cancer hépatique dans cette population. « Malgré l’absence de traitement spécifique de la NASH et de la fibrose, dépister et surveiller les lésions hépatiques sévères chez le diabétique permet de détecter précocement les nodules et les tumeurs, plus fréquents dans cette population, et qui évoluent longtemps silencieusement. »

À noter que chez le diabétique de type 2, les transaminases ne constituent pas un test suffisamment sensible pour alerter. En effet, dans cette population, parmi les sujets ayant une NAFLD, 50 % ont un taux d’ALAT normal.

Les gliflozines tous azimuts

Insuffisance cardiaque, fonction rénale… De plus en plus, les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2) se positionnent au-delà du simple diabète. En témoignent les résultats de l’étude DAPA-CKD, largement commentés lors du congrès de l’EASD. Publiées début septembre, ces données montrent que la dapagliflozine (seul SGLT2 commercialisé en France dans le DT2) réduit le risque de dégradation de la fonction rénale, d’insuffisance rénale, d’insuffisance cardiaque (IC) et de décès chez les patients atteints d’insuffisance rénale chronique, qu’ils soient ou non diabétiques. Dans cette étude, les patients du groupe dapagliflozine présentaient une réduction de 39 % du critère principal (dégradation de la fonction rénale/insuffisance rénale terminale/décès d’origine cardio-vasculaire ou rénal), pour des taux d'événements indésirables globalement similaires au placebo.

L’étude Emperor-Reduced trial testait pour sa part l’empagliflozine chez des sujets diabétiques de type 2 et non diabétiques, ayant une insuffisance cardiaque sévère avec une fraction d’éjection basse (< 30 %) ou une élévation du NT-pro-BNP ou un antécédent d’hospitalisation pour IC dans les 12 mois) ; soit des sujets en prévention secondaire avancée. « Sur le critère de jugement principal, à savoir le délai de survenue d’une IC, la réduction est très significative (RR= 0,72-0,78), quel que soit le niveau glycémique à l’inclusion, rapporte le Pr Ariane Sultan (Montpellier), mais également que les sujets soient diabétiques ou non. De même sur le critère secondaire, avec une réduction des hospitalisations pour IC de 50 % dans le groupe des diabétiques, similaire aux non diabétiques. » Autrement dit, « c’est un argument supplémentaire pour affirmer que la classe des SGLT2 constitue potentiellement un traitement de l’IC, au-delà d’un traitement du diabète de type 2. »

Les résultats de l’étude de sécurité cardiovasculaire, Vertis-CV, sont plus décevants. Dans cet essai qui évaluait l’ertugliflozine chez des diabétiques de type 2 en prévention cardiovasculaire secondaire exclusivement (25 % avaient une IC), aucune réduction du critère primaire composite des événements cardiovasculaires majeurs (MACE : décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, AVC ischémique) n’est observée. Néanmoins, un bénéfice en termes de réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque apparaît là encore (- 30 %).

Ainsi, à ce stade, « si l’on peut parler d’un “effet classe” car tous les inhibiteurs de SGLT2 ont démontré un bénéfice en termes de réduction des hospitalisations pour IC, en revanche, seules l’empagliflozine et la canagliflozine ont fait la démonstration d’une réduction sur le critère cardiovasculaire dur, à savoir le MACE », résume le Pr Ariane Sultan.

En bref...

Huit années de vie en moins dans le DT1 Du seul fait du diabète, les diabétiques de types 1 (DT1) et 2 (DT2) vivraient respectivement huit et deux ans de moins que la population générale. D’autres facteurs viennent alourdir la peine, tels qu’une HbA1c élevée, un tabagisme, la sédentarité, un surpoids, une hypertension…

Diabète et dépression, la glycémie disculpée ? Le diabète de type 2 est un facteur de risque de dépression, et l’influence de la glycémie sur l’humeur a été suspectée. Néanmoins, une méta-analyse présentée pendant le congrès n’a pas mis en évidence de corrélation entre le risque de dépression et le taux d’hémoglobine glyquée.

Activité physique modérée, mortalité diminuée Chez le diabétique de type 2, une activité physique, même modérée (moins de 800 kcal/semaine), réduit le risque de mortalité toutes causes d’un quart, contre 32 % pour une activité plus intense.


Source : lequotidiendumedecin.fr