La Réunion

La médecine générale universitaire, version créole

Publié le 07/06/2013
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À 10 000 km de la métropole, le Congrès Francophone de Médecine Générale de l’océan Indien se tenait pour la première fois les 26 et 27 avril derniers à La Réunion.

La situation géographique de ce département d’outre-mer rend compte d'une épidémiologie infectieuse propre à l'île et les paysages somptueux de la Réunion n'épargnent pas à ses habitants les difficultés du quotidien. Le taux de chômage est ici de 30 % (60% chez les moins de 30 ans) et sur le terrain de la précarité se développent l'illettrisme et l'exclusion. Conséquence d'une alimentation riche en fritures et en sucres mais aussi de la pauvreté, l'obésité s'installe avec son cortège de pathologies métaboliques. Autres fléaux présents, l'alcool, le tabac, les toxicomanies, la violence – en particulier conjugale – et l'inceste.

La Réunion est un des départements français où la consommation de soins est inférieure à la moyenne nationale et une étude est en cours pour en cerner les causes. Avec 97 généralistes pour 100 000 habitants à la Réunion en 2012, contre 157 en métropole, l’offre de soins réduite place de facto le médecin traitant en première ligne, en faisant un acteur incontournable de la coordination des soins. Si la langue créole n'entrave pas la communication des médecins non originaires de l'île à condition de connaître certaines expressions, ils doivent apprendre à composer avec l'usage très répandu des plantes, afin d'informer leurs patients sur les risques d'interaction ou de surdosage .

Le MG, personne ressource pour la greffe rénale

L'explosion du diabète de type 2 rend compte d'une incidence importante de l'insuffisance rénale chronique (IRC) à la Réunion avec 250 cas/million d'habitants en 2011 contre 149 en métropole. « Or la part de la transplantation rénale dans la prise en charge de l'IRC y reste faible puisqu'elle concerne 21 % des 2750 IRC réunionnais vs 44.4 % des 1060 IRC sur le plan national », déplorent les Drs Marie-Pierre Cresta et Pierre Genevey, PH, Agence de la Biomédecine.

Le taux de donneurs recensés et celui de donneurs potentiels stagne depuis 2008, essentiellement du fait de l'opposition des familles. Informer les jeunes de 16/25 ans est une des missions du médecin généraliste. Particulièrement impliqués à La Réunion, ils sont pratiquement toujours joints par l'équipe de coordination hospitalière de prélèvement d'organes : connaissant les antécédents des donneurs, ils participent à leur sélection et sont généralement témoins de la position du défunt vis-à-vis du don d'organes.

La périnatalité sous haute surveillance

Avec sept fois plus d'accouchements que la moyenne nationale, La Réunion est un département particulièrement fécond, mais « le taux de mortalité maternelle et néonatale précoce est plus proche de ceux des pays émergents que de la métropole », souligne le Dr Franco. Pour la réduire, des outils sont en cours d'évaluation auprès des médecins et des sages-femmes comme un check-list d'aide au dépistage organisé ou le nouveau dossier prénatal du programme SUPREME (SUivi PREnatal en MEdecine de ville).

La Réunion est aussi le deuxième département français en terme de grossesses précoces et le troisième pour les IVG chez les mineures, avec des chiffres qui ont doublé entre 96 et 2008 (de 6.2 % à 12 %). Une enquête menée auprès de 145 mineures ayant eu recours à une IVG ou ayant accouché entre avril et octobre 2009 met en évidence un profil distinct de la métropole. Le délai du premier rendez-vous pour l'IVG est de plus de 5 jours, ce qui pourrait expliquer le nombre élevé d'IVG chirurgicales (78 %). Les grossesses précoces sont mieux accueillies puisque 87 % des jeunes femmes vivent chez leurs parents, que 85 % restent scolarisées. Le schéma semble se reproduire puisque 24 % ont des mères ayant aussi débuté leur première grossesse avant 18 ans. Le tableau paraît moins dramatique qu'en métropole mais on manque d'études sur le suivi à long terme des jeunes mères.

« Les rapports sexuels et la mise en couple plus précoces à la Réunion expliquent en partie ces grossesses chez les mineures, mais l'enquête montre aussi qu'elles sont liées dans 41 % des cas à une mauvaise maîtrise de la contraception, manque d'anticipation des rapports sexuels, mésusage de la pilule du lendemain. Et 25 % de ces femmes pensent que le premier rapport sexuel n'est pas fécondant !, commente le Dr Sarah Arnoulx de Pirey-Gravière, MG, service de médecine polyvalente (CHU). De plus, 1,4 % de ces grossesses sont liées à des rapports sexuels forcés. »

Les pathologies infectieuses en résurgence

Depuis les épidémies de dengue, de chikungunya, puis de grippe H1N1, le réseau de médecins sentinelles collabore activement avec la CIRE Océan Indien (InVS) pour la surveillance épidémiologique des pathologies infectieuses.

Après avoir augmenté entre 1970 et 90, la leptospirose s'est stabilisée à 8 cas pour 100 000 habitants (0.4 à 0.5 % en métropole). Elle provoque l'hospitalisation de 92 % des malades et la mortalité est de 3 %. Des chiffres qui diffèrent de ceux de Mayotte, où l'incidence est de 88/100 000 en 2011 mais la mortalité et le nombre d'hospitalisation plus faibles (0,7 % et 39 %) du fait de l'absence du sérogroupe ictéro-hémorragique prépondérant à La Réunion.

De par sa position au carrefour de l'Afrique et de l'Asie, l'Océan Indien est aussi exposé à des pathologies comme le West Nile, La fièvre de la Vallée du Rift, l'encéphalite japonaise.

La CIRE rappelle aussi aux généralistes de métropole dont les patients partent dans l'Océan indien la situation de Mayotte vis-à-vis de l'hépatite A, avec une incidence de 44/100 000 vs 0.8 à la Réunion et 1,4 en métropole qui fait recommander fortement la vaccination; mais aussi le risque de grippe, dont le pic épidémique se situe fin août/début septembre, époque où le vaccin hivernal de la métropole ne protège plus le voyageur.

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr