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Carine Milcent : "Le système de santé chinois n'est pas à deux, mais à dix-huit vitesses"

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Publié le 27/02/2020
Dans le contexte de l'épidémie de coronavirus, Carine Milcent, chercheuse au CNRS et économiste, spécialiste des systèmes de santé, rappelle l'histoire du système de santé chinois et le compare avec le nôtre. Entretien.
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Crédit photo : capture écran C dans l'air France 5, 10 février 2020

Quelle(s) faille(s) du système de santé révèle cette épidémie du coronavirus ?

Pour évaluer le système de santé actuel, il est indispensable d’opérer un rappel historique. C’est en fait un système proche du nôtre, très pyramidal. Dans les zones rurales, on retrouve des petites structures. L’équivalent des CHU sont localisés dans les zones à forte densité. Ce dispositif a été mis en place sous Mao avec la construction de grands hôpitaux. En revanche, l’équivalent des hôpitaux de proximité n’existaient pas. Des paysans étaient formés de manière sommaire aux soins d’urgence en quelques semaines. Et adressaient éventuellement les patients dans des centres hospitaliers selon l’état de santé. Ce qui représentait un réel progrès par rapport à la situation antérieure. Avant l’envol économique, le système très décentralisé, gratuit, sans assurance comme au Royaume-Uni (c'est la gratuité des soins et l’absence d’assurance qui est comparable au RU mais pas le reste. De ce fait, je suis gênée par la tournure), permettait à chacun d’être soigné avec une qualité médiocre et une amélioration impressionnante des indicateurs de santé. Puis viennent les réformes économiques et le mot d’ordre « enrichissez-vous ». Dès lors, certains Chinois ne se satisfont plus de la qualité médiocre. Et souhaitent être soignés ailleurs, en zone urbaine.

Les analogies sont évidentes avec le système français et les problématiques autour des hôpitaux de proximité.

En effet. D’où l’intérêt d’étudier un système dans son ensemble. Mais pour revenir à la Chine, avec la fuite de patients vers les métropoles, le dispositif dans les campagnes s’effondre. Rappelons qu’il est financé de manière très décentralisée au niveau des communautés sans à l’époque de mouvements de population. Au même moment, débute un processus de privatisation de la santé. Les médecins assistent à l’enrichissement économique des autres citoyens. Et réclament à leur tour une part du gâteau. D’où l’émergence d’une barrière économique avec l’impossibilité pour les plus pauvres d’accéder aux soins. D’autant que l’État ne prend pas en charge le système de santé. Les CHU chinois sont en effet financés par les entreprises étatisées, les provinces. Un modèle d’équivalent français serait celui des centres de santé miniers du XXe siècle.

Dans ce contexte de miracle chinois, arrive le Sras en 2003 et une forte pression sociale pour optimiser les prises en charge. Des assurances sont créées avec comme mode de protection unique au monde une assurance santé pour les ruraux, une autre pour les urbains et une troisième pour les migrants. Avec ce système universel des nouveaux problèmes sont soulevés. Qui cotise en cas de déplacement des populations pour accéder à de meilleures prises en charges ? Que faire si vous cotisez à un endroit et habitez à un autre ? Les futurs patients perdent leur cotisation en quittant l’endroit où ils vivent. Autre conséquence, les patients n’ont pas accès aux mêmes types de prise en charge avec des restes à charge différents. La Chine a certes réussi à mettre en place une couverture universelle. Mais le package assurantiel est très inégalitaire sans parler des différences de qualité selon les zones d’habitation. La mise en place d'assurance n'est pas neutre, même si l'on approche d'une couverture à 100 % de la population. Reste que le dispositif se révèle trop onéreux pour une grande partie des Chinois. Enfin, ils exigent de bénéficier de soins de qualité. Or, on observe une grande disparité dans les prises en charge. Dans les zones rurales persistent les équivalents des médecins aux pieds nus, sans réelle formation ou très/trop sommaire.

D’où une fréquentation record vers certains hôpitaux dans l’incapacité d’absorber les demandes.

Comment sortir par le haut de cette situation ?

Par le recours au digital. Le raz-de-marée dans les grosses structures qui génère de fortes frustrations est compensé de manière virtuelle par l'essor des réseaux sociaux chinois Alibaba, Tencent (Wechat), Baidu. Les patients sont contraints de se préenregistrer. Le centre de santé local est une espèce de point-relais qui permet de réguler le flux de patients arrivant dans les grands centres experts. D'où la fragilité du dispositif en cas d'épidémie.

Quelle est l'image des médecins en Chine ?

Selon des sondages réalisés en Chine, les parents ne souhaitent pas que leurs enfants entreprennent des études de médecine. En fait deux professions sont affectées par la corruption, l'enseignement et la médecine. Ces professionnels étaient très respectés avant la mise en œuvre des réformes économiques. Les salaires n'ont pas suivi l'enrichissement de la société. D'où un déclassement économique. Il n'y a plus d'aura autour des professions médicales, plutôt une grande violence. Le système de santé, non pas deux mais à dix-huit vitesses, n'est pas (encore ?) à la hauteur de l'attente des populations.

La mort de ce jeune médecin, lanceur d'alerte, ne change-t-elle pas la donne ?

Son décès a ému l'opinion. On trouve aussi relayées par les réseaux sociaux, des vidéos destinées aux jeunes expliquant comment les médecins sont doux et vont faire du bien, loin de l'image désastreuse diffusée parfois par les médias.

La crise du coronavirus révèle ces défaillances. Pour autant, la Chine étonne par sa capacité à construire un hôpital en quelques jours.

Il faut y voir deux aspects. En interne, Il était nécessaire de ne pas réunir au sein d'un même hôpital un jeune patient consultant pour une fracture du poignet et une victime du coronavirus. D'où l'extrême urgence à isoler ces derniers patients. Autre dimension, externe, il fallait rassurer le monde et démontrer la puissance de la Chine là où elle excelle. Un même phénomène s'est produit au moment de l'épidémie du Sras. L'hôpital alors construit est désormais à l'abandon. Celui qui vient d'être édifié ne répond pas aux normes classiques. Toutes les chambres ne sont pas équipées de fenêtres par exemple. Il fallait, rappelons-le, disposer d'un endroit pour isoler les malades.

Enfin, les virologues chinois disposent des mêmes compétences que leurs collèges occidentaux. Un laboratoire P4 a été construit en collaboration avec des équipes françaises à Wuhan suite à l'épidémie de Sras. Dans cette ville coexistent deux Chine, celle qui illustre la seconde puissance mondiale et une autre, ancestrale, plus proche d'un pays émergent avec des pièces d'appartement noircies par le charbon. Dans des zones plus rurales, ce n'est pas deux mais trois ou quatre Chine. On peut alors trouver un ordinateur mais pas de tout-à-l'égout par exemple. L'État a même construit des cités fantômes encore inhabitées mais en attente de futurs investissements nationaux ou étrangers pour construire de nouvelles usines. 

Quelles sont les similitudes entre les systèmes de santé français et chinois ?

Les deux systèmes de santé sont construits sur un modèle pyramidal avec des centres hospitaliers de plus en plus technologiques et des patients consommateurs conduits par les mêmes logiques, à savoir aller à l'hôpital afin de bénéficier en une seule fois de tous les examens complémentaires. Cela fait écho à la problématique des urgences hexagonales. Les hôpitaux sont également saisis par la violence. Un poste de police est même installé dans les centres hospitaliers chinois. Enfin les meilleurs médecins exercent dans les équivalents des CHU. La téléconsultation est en revanche plus développée en Chine. Elle offre là un grand nombre de services médicaux complémentaires entre le digital et le physique.


Source : lequotidiendumedecin.fr