Lévothyrox, la bioéquivalence en question

Publié le 06/04/2019
bioéquivalence

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Crédit photo : DAVID MACK/SPL/PHANIE

Les études de bioéquivalence classiques étaient-elles vraiment adaptées au cas du Lévothyrox et suffisantes pour entériner la substitution de l’ancienne formule par la nouvelle ?

C’est la question que pose un article d’opinion publié jeudi par une équipe toulousaine dans la revue Clinical Pharmacokinetics et relayé dans le journal Le Monde. En substance les auteurs reprochent aux données produites par le laboratoire Merck et validées par l’ANSM, de se baser sur des valeurs médianes ne prenant pas suffisant en compte la susceptibilité individuelle.

Utilisés généralement pour homologuer les génériques, les essais de bioéquivalence visent à s’assurer qu’un produit donné et son « homologue » se comporteront de façon quasi similaire dans l’organisme, après une même exposition. Ils ne sont pas conçus pour juger de l’efficacité du médicament testé, ni de sa toxicité.

Ces études répondent à un protocole précis encadré par la réglementation européenne. Elles sont réalisées généralement chez des volontaires sains à qui l’on administre une dose unique de médicament générique et de médicament de référence dans des conditions standardisées. La plupart du temps, chaque sujet va recevoir successivement le générique et le médicament de référence en respectant un temps de latence entre les deux prises (phase de ‘wash- out’). Après administration du médicament, plusieurs prélèvements sanguins sont effectués avec une fréquence et une durée définies afin de déterminer la concentration plasmatique en substance active au cours du temps. Les données recueillies permettent ensuite de déterminer pour chaque patient et chaque médicament, les concentrations maximales (Cmax) et la dose totale en principe actif atteintes dans le plasma (objectivée par l'aire sous la courbe ou AUC). Pour ces deux paramètres, les moyennes des valeurs obtenues avec le médicament testé et le médicament référent sont ensuite comparée. Si le ratio obtenu avec un intervalle de confiance à 90% se situe entre 80 et 125, la bioéquivalence est établie. Pour un médicament à marge thérapeutique étroite, cet intervalle est resserré (90-111,11).

Dans le cas du Lévothyrox, l’étude de bioéquivalence a porté sur 200 volontaires sains. Ces sujets ont reçu les 2 formulations et subis des dosages de T4 répétés . Après comparaison entre les valeurs moyennes d’AUC et de Cmax calculées pour l’ancienne et la nouvelle formule, les auteurs retrouvent des ratios compris dans la zone d’équivalence (respectivement 99.3 % -IC à 90 % : 95.6-103.2- et 101.7 % (IC à 90 % : 98.8-104.6) et concluent à la bioéquivalence des deux produits.

L’article paru jeudi, propose une autre lecture de cet essai. Après avoir saisi et réanalysé l’intégralité des données disponibles, l’équipe toulousaine retrouve les mêmes valeurs moyennes que leur collègue. Elle pointe en revanche une très grande dispersion des données individuelles, « plus de 50 % des participants à l’étude se situant en dehors de la plage de bioéquivalence ».

Forts de ce résultat, les signataires s’interrogent sur la pertinence de ces études dite de bioéquivalence « moyenne », en cas de substitution totale d’un médicament pour un autre, qui plus est en cas de marge thérapeutique étroite comme pour le Lévothyrox. « Alors que pour un générique, on peut revenir au traitement antérieur si besoin, dans le cas du Lévothyrox il n’y a pas de roue de secours » souligne le Pr Pierre‐Louis Toutain, pharmacologue et coauteur de l’article.

Les écarts observés sont-ils pour autant suffisants à expliquer les symptômes signalés  suite à la substitution ? « Il est plausible que les gens qui se situent très loin de la zone d’équivalence puissent avoir été impactés » avance le Pr Toutain. Tout en reconnaissant que si dans cette étude presque 60 % des sujets testés étaient en dehors des clous , dans la vraie vie, seuls un peu plus de 1 % des patients traités ont rapporté des effets secondaires après le switch. « Nous ne disons que ce n’est pas bio-équivalent mais nous disons simplement qu’on a suffisamment de signaux pour aller voir plus loin »…
Sur le plan mécanistique, les auteurs pointent du doigt le mannitol, un excipient spécifique à la nouvelle formule et « considéré comme critique, en particulier pour les médicaments de classe III dans la classification BCS ». Cette dernière permet de différencier les médicaments sur la base de leur solubilité et de leur perméabilité. Or très soluble mais peu perméable, le Lévothyrox est justement classés III.
 
Le laboratoire Merck a réagi à cet article en rappelant que, "les lancements de la nouvelle formule en Suisse et en Turquie, se sont très bien déroulés". De plus "des experts indépendants se sont penchés sur ces études et ont conclu à la pertinence et à la rigueur scientifique de l'approche". La nouvelle formule « satisfait plus de 2,5 millions de patients en France ", ajoute le laboratoire.

Bénédicte Gatin

Source : lequotidiendumedecin.fr