Philippe Chêne, nouveau président du Snitem : « Un encadrement des volumes serait un motif de conflit »

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Publié le 27/06/2019
chene

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Crédit photo : Crédit : Sébastien Toubon

N'est-ce pas se mettre dans « une galère » que de devenir président du Snitem, du moins par rapport à vos responsabilités au sein de l'entreprise que vous dirigez ?

Je ne le pense pas. Je me suis bien sûr organisé en interne pour libérer du temps. De plus, je suis présent depuis plus de vingt ans au sein du conseil d'administration du Snitem. Enfin, le Snitem dispose de personnels très compétents sur lesquels on peut compter. Mais surtout, c'est le moment. Je souhaite en effet faire bouger les lignes.  

La situation est objectivement difficile avec la mise en place programmée d'une nouvelle réglementation européenne. 

On aurait pu établir le même constat il y a quelques années. C'est le lot de notre secteur d'être confronté à des mutations en continu. Dans le même temps, nous devons mieux faire connaître nos produits afin d'en faire apprécier la performance clinique mais aussi l'apport en efficience sur le système de santé. Mais il y a certes un tournant avec ce nouveau règlement européen applicable en 2020. 

Le Snitem a produit des outils pédagogiques de grande qualité pour préparer ses adhérents à cette échéance. Une application dédiée Priam, Plateforme réglementaire d’information et d’aide à la mise en conformité, permet à chaque entreprise d'établir un diagnostic pour l'ensemble de ses produits afin de repérer ce qui va changer avec le nouveau règlement. Un plan d'actions ensuite peut être programmé. Mais nous sommes limités par la disponibilité des organismes notifiés.   

Le secteur est-il prêt en ce qui concerne l'échéance de l'application de la nouvelle réglementation européenne ?  

Nous sommes tous en mouvement. Mais cette marche en avant est bridée par la capacité des organismes notifiés à absorber le surcroît d'activité. Si l'on prend l'exemple du seul organisme d'expression francophone, sera-t-il certifié rapidement ? Disposera-t-il enfin des moyens supplémentaires pour prendre en charge des nouveaux dossiers ? C'est certes une problématique européenne. Mais nous serons très attentifs à la situation française. À cet égard, nous appelons à la création d'un nouvel organisme.

Avec la nomination d'une nouvelle commission européenne, faudrait-il envisager la coexistence au sein d'une direction européenne des dispositifs médicaux et des médicaments aujourd'hui séparés ?

Le dispositif médical est par nature très différent du médicament. Nous luttons depuis des années pour faire reconnaître et acter ces différences. En matière réglementaire ou de régulation, les autorités de santé ne doivent pas se limiter à répliquer dans le secteur des DM des processus expérimentés dans le médicament. Il n'y aurait donc aucune raison de regrouper les deux secteurs. Pour autant, le système souffre d'une organisation en silos. On perd facilement de vue les objectifs généraux de santé publique. L'un des buts de mon mandat sera bien de fracturer ce système en silos, y compris au sein de notre industrie. L'enjeu est de mettre en avant nos problématiques communes plutôt que nos différences. De la même manière, nous partageons tous l'ambition de développer la prévention, le développement de l'ambulatoire, le maintien à domicile. Mais au-delà de ces bonnes intentions, comment les administrations traduisent en pratique cette politique et concourent à l'objectif global ? Le travail en silos est un sérieux handicap. D'où l'intérêt d'un regroupement à condition de ne pas perdre en chemin les spécificités de chacun. 

Faudrait-il à l'image d'une agence européenne du médicament instaurer une agence européenne du dispositif médical ?

Cela ne me paraît pas indispensable. En revanche, on peut regretter que l'Agence nationale du médicament et des produits de santé affiche en premier dans son intitulé les médicaments. C'est certes symbolique mais toutefois significatif. 

Quel est votre regard aujourd’hui sur cette nouvelle réglementation européenne ?

Un certain nombre de points sont appelés à être clarifiés. Il est toutefois illusoire de mettre en place un système parfait. La priorité est l'instauration d'un dialogue en continu avec les autorités compétentes, la programmation de points d'étape afin de procéder à des ajustements. Il faut abandonner les postures dogmatiques et ne pas regarder nos entreprises guidées par la seule recherche du profit. Nous souscrivons à l'optimisation de la sécurité, au suivi de l'efficacité des produits en vie réelle, à l'intégration de l'ensemble de la chaîne de distribution dans les processus réglementaires. En revanche, il faudra être prêt à corriger les dysfonctionnements observés. 

Les pouvoirs publics encouragent l'innovation dans le discours. Qu'en est-il dans les faits ?

L'innovation est absolument indispensable à la pérennité et à l'efficience de notre système de santé. Elle est au cœur du dispositif médical - nos produits sont en effet en permanente évolution - et ne doit pas être vue comme un coût mais une opportunité. Des progrès ont été enregistrés notamment pour la réalisation des essais cliniques en France. C'est une reconnaissance de l'excellence des investigateurs et une opportunité pour les entreprises françaises d'innover à partir de leurs bases avec in fine la création d'un cercle vertueux entre les investigateurs qui évaluent et les entreprises dont la mission est de développer. C'est enfin replacer la France à un rang plus conforme à son potentiel dans l'évaluation clinique. 

Mais entre le ministre de l'Industrie qui pousse à la compétitivité de la filière et celui du Budget au redressement des comptes de la Nation, c'est au final toujours celui du Budget qui gagne au moment de la présentation du PLFSS... 

Nous devons nous atteler au sein de nos entreprises à ce que l'évaluation médico-économique soit un axe fort de développement. Cette culture médico-économique doit également irriguer les pouvoirs publics afin d'éviter au quotidien cet écartèlement favorisé par le raisonnement en silo dénoncé plus haut. Comment en effet appeler à l'essor du maintien à domicile alors qu'au moment du vote du PLFSS 2019, on supprime d'un trait de plume 150 millions d'euros de crédit (pour la ville) sous le prétexte d'une croissance du secteur ? Or, cette progression répond à des besoins identifiés des patients dus à la fois au vieillissement de la population et à la réduction de la durée de séjour à l'hôpital. En fait, les objectifs nationaux en matière de santé publique doivent être déclinés en sous-objectifs à mettre en œuvre par les différentes administrations. Le calendrier annuel des lois de financement de la Sécurité sociale se prête mal à ce genre d'exercice. D'où l'intérêt à mettre en place des instruments de régulation qui reposent entre autres sur l'épidémiologie et dont l'échéance serait pluriannuelle. Le Snitem dans ce cadre sera force de propositions.    

Et en cas d'échec, faudrait-il alors pousser un coup de gueule ?

Pourquoi pas. La culture du Snitem est de donner sa chance à la négociation et au cadre conventionnel en permanence. Je ne suis pas sûr que les bonnes organisations émergent des crises. Néanmoins, s'il est nécessaire de s'opposer à un moment donné, je le ferai à condition que les problématiques soient partagées par l'ensemble des adhérents. Un encadrement des volumes décidé arbitrairement serait là un motif de conflit. Même si le profil de nos entreprises est très varié, la révolution digitale en cours crée des ponts entre petites et grandes entreprises et contribue à connecter nos produits. Quelle que soit la taille de l'entreprise, son chiffre d'affaires, les problématiques sont communes pour faire reconnaître la valeur, l'innovation de nos produits, à générer des données. À ce jour, le système de prise en charge n'est pas prêt à valoriser ce type d'innovation. Il faut d'ailleurs cesser d'envisager le déficit des comptes sociaux seulement sur le versant dépenses en oubliant celui des recettes qui ne relève pas de notre ressort.

Que vous a appris la crise médiatique autour des DM cet automne ?

Notre secteur est encore méconnu. On note par exemple une grande méconnaissance chez les journalistes qui ont tenté de soulever des dysfonctionnements concernant l'enregistrement de nos produits en dehors de toute réalité objective. D'où l'intérêt à communiquer en continu sur la réglementation, la sécurité autour du dispositif médical, l'encadrement dont nous faisons l'objet. Au-delà de ces polémiques, les Français ont fait preuve d'un certain recul par rapport à ce qui a été dit. Le DM plus que tout autre produit de santé accompagne les patients au quotidien tout au long de leur vie. Ils ont apprécié son apport au quotidien. Pour dire vrai, je n'ai pas eu le sentiment de traverser une crise. 

Sur quels critères souhaiteriez-vous être évalué à l'issue de votre mandat ?

Je peux citer des éléments concrets comme la signature d'un nouvel accord-cadre permettant d'organiser une régulation intelligente, médicalisée avec les autorités. On en parle depuis quatre ans. La mise en œuvre du nouveau règlement européen exige une grande vigilance tant du côté de nos adhérents à le mettre en œuvre que de celui des organismes notifiés à respecter les délais. 

Sur des enjeux à plus long terme, je contribuerai à faire reconnaître la contribution du DM à l'efficience du système de santé. Le DM est structurant. Il nous faut documenter son apport. Enfin, j'attends à ce que tous les adhérents s'estiment bien représentés. 


Source : lequotidiendumedecin.fr