Tribune

Une formation médicale remise sur le métier

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Publié le 20/02/2020
Enseignants et étudiants, dans une période de « mise en marche » de plusieurs réformes universitaires de grande ampleur, ont planché, sur le présent et l’avenir des formations médicales. A Caen, pendant deux jours se sont tenues des dizaines de conférences et ateliers d’études et d’échanges. Examen.
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Tous les deux ans, se tiennent les États généraux des formations médicales qui ont pour ambition de penser et préparer l’avenir de la médecine. En 1956, la ville normande avait déjà été le lieu d’un colloque initiateur et fondateur sur la recherche médicale. Quelques mois plus tard, le professeur Debré, à la manœuvre, avait créé des centres hospitalo-universitaires qui sont devenus des lieux essentiels de soins, de recherche et d’enseignements. Sans filer la comparaison, « toutes choses étant égales par ailleurs », les États généraux de 2020 ont bien été l’occasion de préciser les ambitions, pour la décennie à venir, d’un monde éducatif et médical qui veut accompagner les évolutions de la société. Sur fond d’une crise sociale profonde qui n’en finit pas dans l’hôpital, il s’est agi de définir à la fois ce que devra être le professionnel de santé de demain et d’accompagner les réformes en cours.

Des professionnels de santé impliqués dans la société

Le médecin est impliqué dans la vie sociale de ses concitoyens. Individuellement et collectivement les professionnels de santé sont introduits dans le tissu local dans lequel ils exercent leurs activités. Plusieurs d’entre eux exercent même des responsabilités dans la vie de la cité. Mais, comme le souligne le sociologue Daniel Benamouzig, le contexte change. Les crises sociales ont marqué les territoires hexagonaux. « Rançon de la gloire », les attentes des patients et des citoyens sont plus fortes. Tout est bousculé dans la pratique médicale et dans les besoins exprimés dans des sociétés qui se veulent modernes et avancées. Les socles professionnels, ici comme ailleurs, poursuit le chercheur en sciences sociales, vacillent et les disciplines se cherchent de nouveaux cadres. L’hôpital se transforme et avec lui l’exercice médical et soignant qui lui est lié. La formation et la recherche ne peuvent donc plus se faire de la même manière. La médecine soigne mieux, l’hôpital est efficace mais l’idée de conquête est remise en cause dans une société du doute et de la revendication bruyante.

Nos modèles sont épuisés

Le professeur de Sciences Po n’y va pas par quatre chemins. Le modèle de 1958 qui avait vu la création des CHU est épuisé financièrement, humainement et même sur le plan écologique. L’hôpital et la santé, les formations médicales et soignantes doivent désormais se penser « sous l’aune de l’ouverture ». Fini les « espaces clos » et les sciences dominatrices. Il convient de penser large et d’intégrer, en médecine, de nouveaux champs de réflexion. La médecine, l’odontologie, la pharmacie, la maïeutique et les sciences infirmières et soignantes doivent « s’apprendre avec d’autres ». La fin des monopoles, ici comme ailleurs, les amène à chercher des partenaires. La médecine tend la main aux patients. La recherche doit aborder ses travaux avec plus de transversalité. Et le sociologue, à qui les doyens ont confié le soin de conclure leurs travaux dit à une assemblée attentive : «  Même si personne n’a le logiciel, c’est maintenant que cela se passe. » Alors que le gouvernement engage des réformes de fond des formations médicales et santé, à l’entrée des études, au milieu et à la fin, en spécialisation. Et ici, dans les facultés médicales, avec les enseignants et leurs étudiants qui sont au cœur de l‘éducation et de l’accès aux connaissances.

Une transformation inédite

Les États généraux de la formation et de la recherche 2020 s’inscrivent dans le cadre de changements législatifs et organisationnels de grande ampleur. Depuis plusieurs mois la communauté universitaire est engagée dans des changements qui tendent à faire évoluer les profils des futurs professionnels. Qui seront « de sensibilités disciplinaires différentes », selon Frédérique Vidal qui a ainsi annoncé 378 licences sur le territoire national et 108 sites universitaires engagés dans des parcours d’accès en santé. La ministre des Universités et de la Recherche de poursuivre : « Le champ des sciences de la santé sera, à terme, transversal. » C’est sur ces saxes que le nouveau président de la Conférence des doyens de médecine, le Pr Patrice Diot définit ses priorités pédagogiques. Il entend saisir «  les opportunités extraordinaires qui se présentent ». Nous sommes engagés dans ces évolutions et nous voulons réussir les réformes de la formation initiale, de la recherche et de la formation continue. La place de l’Université française à l’international en dépend ». L’occasion pour les acteurs réunis de lancer « l’Appel de Caen » en faveur d’une plus grande mobilité des étudiants et des enseignants et de développer les programmes Erasmus. En écho, le Dr Charles Belen, consultant international et ancien coordonnateur du programme des ressources humaines pour la santé au siège de l’OMS, évoque une nécessité mondiale – le consensus mondial – pour engager « une immersion profonde et longitudinale des professionnels de santé dans la société ». Les talents et les moyens des uns et des autres doivent être mutualisés. Parce que la résolution des problèmes complexes de santé exige une relation en réseau multi-professionnel.

Éloge de la complexité

Les objectifs se dessinent. Les enseignants et les professionnels de santé cherchent à être des acteurs bienveillants, sensibles aux souffrances humaines. Ils s’intéressent, en même temps, à la science et au progrès. Car, « l’éthique ne s’oppose pas à la science et il faut une bonne science pour réfléchir », dit le Pr Jean François Delfraissy, président du Comité national d’éthique. La prochaine loi de programmation de la recherche donnera-t-elle des perspectives attrayantes ? Provoquera-t-elle un nécessaire sursaut de notre pays face à la compétitivité des pôles de recherche internationaux ? Plusieurs intervenants s’inquiètent d’un déclin de la recherche médicale française face à l’émergence de nouveaux acteurs. Ce moment de discussion autour de la prochaine loi sera, en revanche, pour Agnès Buzyn, encore pour quelques jours ministre de la Santé, l’occasion d’un débat qui « nous permettra de définir des priorités stratégiques autour des transitions écologiques, numériques et démographiques ». Les grands enjeux du vieillissement et le prolongement de malades chroniques, les nouvelles demandes sociétales nous obligent à des engagements forts, collectifs et coordonnés. Donc à des organisations nationales, régionales et territoriales qui éviteront que perdurent des organisations fracturées et inefficaces. A la clé : une meilleure qualité de service due à la population, une baisse des pénuries de professionnels tant redoutées par les citoyens et une disparition des souffrances professionnelles, inacceptables dans un secteur qui se doit d’être accueillant.


Source : lequotidiendumedecin.fr