Seulement 60 % des patients éligibles à la surveillance active y ont recours aux États-Unis, un chiffre clinicien-dépendant. Afin d’améliorer l’adhésion à cette stratégie, des chercheurs américains ont suivi des hommes sur le long terme après le diagnostic de cancer de la prostate. Ainsi, à 10 ans, 49 % des hommes n’ont pas eu ni progression ou ni traitement, et moins de 2 % ont développé une maladie métastatique. Enfin, 1 % des patients sont décédés des suites de leur cancer. L’étude, appelée Pass (Canary Prostate Active Surveillance Study), ne montre pas de perte de chance en cas de traitement retardé au cours de la surveillance. Des résultats qui confortent la pertinence de la stratégie.
En France, comme aux États-Unis, la surveillance active est une option de prise en charge pour les cancers de la prostate à faible risque d’évolution. Du point de vue clinique, le risque principal est d’intervenir tardivement sur un cancer se révélant agressif ; du point de vue du patient, c’est une situation qui peut générer de l’anxiété et le contraint à réaliser semestriellement les examens biologiques et cliniques.
Dans cette étude publiée dans le Jama, une progression du cancer tardive et un traitement pendant la surveillance ne sont pas associés à un pronostic moins bon. « Il est important de noter que les conséquences négatives telles que la récidive ou les métastases ne semblent pas plus graves chez les personnes traitées après plusieurs années de surveillance que chez celles traitées après une année de surveillance, ce qui atténue les craintes de perdre une fenêtre de guérison », commente Lisa Newcomb, première autrice de l’étude. Les auteurs espèrent également « que cette étude encouragera l'acceptation nationale de la surveillance active au lieu du traitement immédiat du cancer de la prostate ». Cette stratégie avait d’ailleurs été plébiscitée par une commission du Lancet pour répondre à la hausse future des cancers de la prostate dans le monde. Cependant, ces résultats pourraient ne pas forcément s’appliquer à toutes les populations, notamment aux hommes d’origine africaine, notent les auteurs.
Un protocole de suivi mis en place pour l’étude
L'étude Pass est une étude de cohorte prospective multicentrique observationnelle avec un suivi médian de 7,2 ans. Elle a inclus, entre 2008 et 2022, 2 155 hommes atteints d'un cancer de la prostate à risque favorable (63 ans, âge médian) et n'ayant reçu aucun traitement préalable. Parmi eux, 83 % étaient d’origine caucasienne (hors hispanique), 7 % d’origine africaine. Dans 90 %, il s’agissait du diagnostic d’un cancer de grade 1, et l'antigène prostatique spécifique (PSA) médian était mesuré à 5,2 ng/ml. Aucune exclusion en rapport avec le grade ou le taux de PSA n’a été faite afin d’avoir des patients représentatifs de ceux ayant recours à la surveillance active.
Les participants ont suivi un protocole standardisé qui se déroulait comme suit : dosage de PSA tous les trois mois avant 2020 et tous les six mois à partir de 2020, une biopsie dans les 6 à 12 mois, à 2 ans puis tous les 2 ans après le diagnostic. Pour ces biopsies, les auteurs les ont définies comme « diagnostic », « confirmation » (première surveillance) et « surveillance ultérieure ». L'incidence cumulée de la biopsie de confirmation dans les deux ans suivant le diagnostic était de 88 %, 97 % des participants ont eu la biopsie de confirmation dans les 5 ans, 83 % ont eu une biopsie dans les 3 ans, et 90 % tous les 5 ans. Après la deuxième biopsie de surveillance, 74 et 83 % des participants ont subi une biopsie subséquente dans les 3 et 5 ans, respectivement. Une adhérence aux biopsies que les auteurs considèrent comme haute. L'IRM et d’autres biomarqueurs ont été réalisés à la discrétion des cliniciens.
Environ quatre cancers sur 10 reclassifiés au cours du suivi
Les auteurs ont ainsi estimé les incidences cumulatives de reclassification du grade de la biopsie (43 %), du traitement (49 %), des métastases, de la mortalité par cancer de la prostate, de la mortalité globale et de la récidive après traitement chez les patients traités après la première biopsie de surveillance ou les biopsies ultérieures. Au total, 425 et 396 patients ont été traités après des biopsies de confirmation ou des biopsies de surveillance ultérieures (médiane de 1,5 et 4,6 ans après le diagnostic, respectivement) et les taux de récidive à 5 ans étaient de 11 et 8 %, respectivement. Un cancer métastatique est apparu chez 21 participants et trois décès ont été liés au cancer de la prostate. Ainsi, les taux estimés de métastases ou de mortalité spécifique au cancer de la prostate 10 ans après le diagnostic étaient de 1,4 et 0,1 %, respectivement ; la mortalité globale au cours de la même période était de 5,1 %. Les taux d'issues défavorables ne semblent donc pas être plus élevés chez les patients traités après plusieurs années de surveillance que chez ceux qui ont été traités immédiatement après la biopsie de confirmation. Enfin, cette étude montre que les biopsies d’une grande partie des patients diagnostiqués avec un cancer de la prostate à risque favorable ne montrent pas d’évolution sur 10 à 15 ans. Pour les auteurs, cet argument va d’ailleurs en faveur d’une abstention de biopsie, un geste chirurgical qu’ils qualifient comme à risque.
Pour le Pr Pierre Blanchard, oncologue radiothérapeute à Gustave-Roussy, cette étude apporte « confirmation d’une pratique aujourd’hui standard et encourage à augmenter son recours ». L’oncologue fait également remarquer qu’à la différence des États-Unis, l’IRM en France est utilisée avant les biopsies. Un point soulevé dans la discussion par les auteurs qui évoquent l’évolution des pratiques et des outils depuis 2008.
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