Des cas atypiques d’Alzheimer après hormone de croissance d’origine humaine relancent l’hypothèse d’une transmissibilité iatrogène

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Publié le 31/01/2024
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Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

La maladie d’Alzheimer pourrait-elle être transmissible, comme peuvent l’être les maladies à prions ? C’est l’hypothèse que soutient l’équipe britannique dirigée par John Collinge de l’Institut des maladies à prions de Londres dans une nouvelle étude publiée dans Nature Medicine. Les chercheurs rapportent les observations relatives à huit patients qui ont développé une forme précoce et atypique de la maladie neurodégénérative après avoir été traités dans les années 1980 par hormone de croissance (GH) d’origine humaine cadavérique.

Si les chercheurs ne peuvent exclure totalement une autre cause – maladie initiale de l’enfance, tumorale (craniopharyngiome, médulloblastome) ou congénitale, effets indésirables des traitements dont la radiothérapie, effets propres du déficit en hormone de croissance –, ces explications alternatives leur semblent peu plausibles. La présentation atypique et précoce des formes développées ne va pas dans le sens d’une forme sporadique ou familiale d’Alzheimer.

De tels cas iatrogènes de la maladie neurodégénérative sont rares – le type de préparations de GH étant abandonné depuis le scandale lié à la transmission de maladie de Creutzfeldt-Jakob (CJD) au début des années 1990 –, mais les auteurs appellent à la prévention, en particulier par une décontamination des instruments chirurgicaux.

Similitude avec la maladie à prions

Pour la Dr Susan Kohlhaas, du programme de recherche britannique sur l’Alzheimer, « cette étude suggère qu’en de très rares circonstances, la maladie d’Alzheimer peut se transmettre entre humains via l’hormone de croissance issue de donneurs décédés. Il faut souligner que ce traitement n’est plus utilisé aujourd’hui et qu’il a été remplacé par de l’hormone synthétique », explique-t-elle sur le site Science Media Centre. Un constat partagé par d’autres chercheurs, dont le Dr Richard Oakley de la Société de la maladie d’Alzheimer, faisant remarquer que la fréquence du phénomène n’est pas connue (seuls huit cas sur 1800 patients sont remontés) et insistant sur le fait que les traitements actuels « ne présentent pas de risque de maladies transmissibles ».

La piste de la transmission iatrogène est explorée par l’équipe londonienne depuis les années 2010 avec la publication dans Nature en 2015 d’un article rapportant des dépôts importants de protéine bêta amyloïde avec une angiopathie cérébrale amyloïde chez quatre patients jeunes (36 à 51 ans) décédés de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (CJD) après injection d’hormone de croissance d’origine humaine dite « extractive ». Ces préparations étaient contaminées par du prion et contenaient également des noyaux de peptides bêta amyloïdes. Selon les chercheurs, si les patients n’étaient pas décédés de CJD, ils auraient développé une maladie d’Alzheimer.

Des symptômes précoces atypiques

Ici, dans cette nouvelle étude, les chercheurs décrivent les cas de huit autres patients adressés à la cohorte britannique National Prion Clinic entre 2017 et 2022, tous traités pendant des années dans leur jeune âge par hormone de croissance d’origine humaine. Pour quatre d’entre eux, certaines préparations utilisées gardées en archive avaient déjà été identifiées comme étant contaminées par des peptides bêta amyloïdes. Aucun n’était atteint de CJD. Cinq d’entre eux présentaient des symptômes compatibles avec une démence précoce, « avec des troubles cognitifs dans au moins deux domaines suffisamment sévères pour affecter la performance dans des activités habituelles de la vie de tous les jours », est-il précisé.

Le début des symptômes a commencé trente à quarante ans après le traitement, entre l’âge de 38 et 49 ans pour quatre patients et à 55 ans pour le dernier. Pour trois d’entre eux, le diagnostic a été posé avant le référencement dans la cohorte, deux avec les critères classiques d’amnésie et un avec des troubles du langage. Les deux autres présentaient des symptômes non-amnésiques (troubles dysexécutifs pour l’un, langage pour l’autre). Les cinq remplissaient les critères du DSMV pour un trouble neurocognitif majeur dû à la maladie d’Alzheimer. Quant aux trois autres, ils présentaient des troubles cognitifs légers ou subjectifs, voire pas de symptômes pour l’un d’eux.

« À la lumière de ces résultats, les chercheurs recommandent que les procédures médicales soient revues pour s’assurer que les rares cas de transmission d’Alzheimer comme ceux-ci ne se reproduisent pas à l’avenir », relève la Dr Kohlhaas. Un avis que partage le Pr Bart De Strooper de l’University College London en incitant à la vigilance et à la surveillance à long terme, en particulier pour les procédures réalisées tôt dans la vie impliquant des tissus ou produits humains. Mais insiste-t-il : « Personne ne devrait reconsidérer sa position ni renoncer à une procédure médicale, notamment pour la transfusion sanguine et la neurochirurgie qui sauve de nombreuses vies dans le monde chaque année ».


Source : lequotidiendumedecin.fr