Dossier maladies rares/thérapies géniques

Eric Baseilhac (Leem)* : « Etaler les coûts sur plusieurs années lisse l'effet de bosse »

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Publié le 09/07/2020
maladies rares

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Crédit photo : Thomas DERON

Quel sera l’impact en matière budgétaire des innovations thérapeutiques dans les maladies rares ?

Nous nous sommes livrés à un travail prospectif inédit pour les cinq années à venir. Le surcoût pour les thérapies géniques et cellulaires, par exemple, sur la base des hypothèses de prix rendues publiques et avec toutes les réserves qu’impose ce type d’exercice prospectif, serait de l’ordre de 7 milliards d’euros. La disruption n’est pas tant liée aux prix qu’à la concentration de la dépense sur un court terme pour traiter les populations prévalentes alors que la guérison des patients provoque à moyen et long terme des économies faramineuses. Cette analyse révèle que nos modes actuels de régulation du médicament ne sont pas adaptés au défi de l’accès des patients français à l’innovation.

Les maladies rares seront-elles encore une priorité après la Covid-19 ?

Dans les suites de la pandémie Covid-19, notre crainte serait que le financement des maladies rares soit regardé à l’aune de leurs faibles populations. Il ne faudrait pas tomber dans des raisonnements de coûts d’opportunités qui écarteraient l’innovation  lorsqu’elle est destinée à un nombre limité de patients en raison des besoins de financement importants qu’il faut évidemment mobiliser pour l’hôpital et les soignants. Opposer les urgences et les nécessités serait irresponsable et placerait pour longtemps la France en marge du progrès thérapeutique. Les innovations destinées aux maladies rares sont motrices pour le progrès thérapeutique et les patients français, après avoir été exposés à la crise de souveraineté que nous venons de traverser, ne peuvent pas affronter demain une crise de l’innovation. La meilleure façon d’échapper à ces choix mortifères serait de concevoir, pour chaque enjeu de santé publique, un modèle économique. Ainsi le financement de l’innovation thérapeutique destinée aux maladies rares doit-il être regardé comme un investissement, sur le temps long.

Pourquoi les prix sont-ils élevés ?

Les coûts de recherche et développement, les coûts de gestion (pharmacovigilance, sérialisation, tenue des registres…) pour les médicaments destinés à des populations importantes ou restreintes sont relativement comparables et ne peuvent être amortis que par des prix plus élevés pour les maladies rares.

Pour les thérapies géniques, s’ajoute le coût très important du ticket industriel que représente la création d’usines ex nihilo pour assurer un niveau de production mondial. À court terme, on peut imaginer que l’élasticité de la négociation de leur prix sera relativement faible, avant que ne soient possibles des économies d’échelle et que n’arrive peut-être un jour la concurrence chinoise…

Le vrai sujet est celui du financement. Les thérapies géniques, qui se caractérisent par un effet s’exerçant sur toute la vie après une administration unique, concentrent leurs coûts à court terme et génèrent des économies potentiellement importantes à moyen et long terme. Étaler ces coûts sur plusieurs années permettrait de lisser l’effet de « bosse » budgétaire. L’exemple de l’hémophilie sévère est illustratif de ce point de vue. Ce sont près de 2 000 patients qui pourraient bénéficier d’une thérapie génique dans cette indication dès 2021 alors qu’une fois cette population prévalente guérie, le nombre de nouveaux patients ne dépassera pas une trentaine par an. Fractionner le coût de traitement de la population prévalente sur 5 ans permettrait durant cette période de ne pas dépenser plus que les 600 millions d’euros que l’assurance maladie dépense actuellement sans guérir les patients…

Mais le CEPS ne souhaite pas adopter ce nouveau dispositif.

Le sujet du financement est d’abord l’affaire du régulateur. Aujourd’hui les dépenses de médicaments sont exécutées dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale votée par le Parlement chaque année. Cette myopie à un an est particulièrement inadaptée à la régulation économique (et organisationnelle) de l’innovation. Nous appelons à la création d’un fonds d’investissement pluriannuel pour financer les innovations de rupture. C’est une réforme absolument nécessaire si on veut pouvoir accueillir ce choc (heureux) d’innovations qui nous attend durant les dix prochaines années. Le CEPS a également sa pierre à apporter en proposant des mécanismes conventionnels qui donneraient la possibilité d’organiser le fractionnement des paiements avec les hôpitaux et l’assurance maladie.

Mais pourquoi payer très cher un produit dont l’efficacité ne serait pas totalement démontrée ?

L’incertitude sur la persistance de l’effet des thérapies géniques est contingente de leurs performances : comment garantir la guérison sur la base d’études cliniques qui ne peuvent démontrer, au mieux, au moment de l’évaluation, qu’une efficacité sur quelques années ? Cette incertitude ne doit plus être considérée comme une barrière à l’entrée des innovations mais doit être un levier d’intelligence dans les négociations. Nous proposons de créer des « contrats de gestion de l’incertitude » qui permettraient de suivre ces thérapies dans le temps en adaptant leurs conditions de prix aux performances constatées dans la vie réelle tout au long de la vie des patients. La France est en retard sur ce type d’approche par rapport à ses voisins européens.

Comment ont réagi les autres pays européens à cette grande vague d’innovations ?

La plupart des autres pays ont commencé par adapter le budget qu’ils consacrent aux médicaments au défi de l’innovation : le Royaume-Uni projette sur cinq ans un effort budgétaire croissant de 2 % par an, l’Espagne a décidé d’indexer la croissance de son enveloppe médicament sur celle du PIB, l’Italie la corrèle à la croissance de l’ensemble des dépenses de santé. On est très loin du taux de 0,5 % accordé en France pour 2020 ! Notre pays continue à réguler les médicaments dans une enveloppe fermée, condamnant l’innovation à être rémunérée par la baisse des prix des produits matures. Cette politique, inadaptée aux périodes d’innovation très dynamiques comme celle que nous traversons, est en grande partie responsable du phénomène de délocalisation de l’industrie pharmaceutique. Il est urgent de replacer le médicament au cœur des politiques de santé. Comment se fait-il que nous ne soyons pas invités au Ségur de la santé ?

* directeur des affaires économiques et internationales du Leem.


Source : lequotidiendumedecin.fr