Dossier maladies rares/thérapies géniques

Pierre Bentata (Asteres) : « Une alternative au prix fixé »

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Publié le 09/07/2020
Asteres

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Crédit photo : DR

Le prix élevé des médicaments s’explique-t-il par le rachat de start-up à un coût spéculatif ?

C’est possible. La stratégie de développement de nouveaux traitements repose sur l’achat de start-up. C’est devenu le business model appliqué par les big pharma. C’est toutefois difficile d’en mesurer l’impact sur le prix des thérapies. Dans un secteur où les innovations sont fortes et soulèvent une réelle attente, on ne peut savoir aujourd’hui ce qui relève de la spéculation ou du bon investissement. La réponse sera donnée plus tard. C’est ce qui s’est passé avec la bulle internet. Les investisseurs ont été trop optimistes, trop tôt. Ils avaient toutefois raison d’estimer que c’était un profond bouleversement.

L’opacité sur les coûts de production domine. Comment lever le voile d’ignorance ?

J’en ai parlé avec plusieurs patrons de laboratoire qui en ignorent eux-mêmes le coût. La comptabilité analytique ne permet pas de retracer les flux de financement depuis le début de la recherche & développement jusqu’à la phase finale de production. Tout dépend également du prix net payé in fine. A ce jour, nous n’arrivons pas à obtenir ces informations. Les laboratoires souhaitent obtenir des prix élevés afin de rassurer les investisseurs privés. Les marchés financiers ont ainsi manifesté leur déception lorsque le laboratoire Bluebird a signé un accord avec les autorités allemandes pour un montant de 1,3 million d’euros au lieu des 2 millions escomptés. Pour apprécier la soutenabilité des prix pour le système de protection sociale, il faudrait connaître les prix nets. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Le coût de la recherche est toutefois différent de celui de la production.

Cela est vrai en ce qui concerne la production dont les coûts seraient compris entre 200 000 et 300 000 euros par lot. Certains analystes avancent même le prix de 500 000 euros. D’où la nécessité d’adopter une autre logique qu’avec les médicaments chimiques.

Faut-il mettre en œuvre de nouveaux modèles de financement ?

En effet, il faut inventer de nouveaux modes de financement, de remboursement, de partenariat. La tarification de ces thérapies doit être envisagée de manière différente. L’idéal serait de faire converger les flux de paiement avec les processus d’évaluation en vie réelle. Ce qui oblige à mettre en œuvre un paiement à la performance. La HAS s’inscrit dans ce sillon. En fait les politiques s’y opposent. Un tel dispositif contraint à sortir en effet du cadre annuel structuré autour du PLFSS. Et oblige à définir de nouvelles relations avec les créanciers de l’Etat. C’est une révolution en matière de finances publiques. Par ailleurs, les pouvoirs publics redoutent de ne pas maîtriser tous les rouages de la négociation. Un laboratoire propose par exemple d’être rémunéré pendant cinq ans. Mais que se passe-t-il en cas de nécessité d’injection supplémentaire ? Les contrats doivent être précis. Et exigent une grande expertise. L’autre contrainte sera d’expliquer à l’opinion les raisons qui ont conduit à l’adoption de ces nouveaux contrats. Cette problématique n’est pas seulement française. Elle est retrouvée dans les autres pays développés.

Quelles sont les autres alternatives ?

Nous proposons un accord de licence sur une durée déterminée. Le prix ne serait plus lié au nombre de patients traités. La propriété intellectuelle du produit serait cédée. Si de nouveaux patients sont diagnostiqués, l’augmentation de la prévalence n’aurait plus d’impact financier. A ce jour, ce dispositif de financement existe pour l’acquisition de programmes informatiques. Enfin, comment dans ce cas appeler ces dépenses ? Sans reprendre la terminologie de Jacques Attali qui qualifie les dépenses de santé d’investissements, le budget de l’Etat peut accepter certaines dépenses exceptionnelles. Les choix finaux sont politiques. Enfin, on ne doit pas négliger la capacité de négociation des Etats prêts à refuser la prise en charge d’un traitement.

Un troisième niveau de réflexion devrait être engagé avec les assureurs, spécialistes de la gestion des risques qui seraient associés aux négociations avec les laboratoires. Le problème est ici politique. Car le danger serait au regard de l’opinion de privatiser le système de santé. Mais l’Etat se doterait d’une expertise et d’un pouvoir fort de contradiction avec les laboratoires.

La vraie discussion, comme l’ont compris les laboratoires, se déplace en fait sur la définition du prix. Est-ce un coût, une valeur ? Et dans ce dernier cas, comment peut-on l’estimer ? La valeur d’un produit est en grande partie sociale. D’où un débat sans fin… L’enjeu est d’éviter des prix élevés sans rapport avec la valeur thérapeutique des produits ou de prix trop bas qui découragent les industriels d’investir dans un effort de recherche.  


Source : lequotidiendumedecin.fr