Tribune Jean-Pierre Blum

Alerte mondiale aux infections bactériennes mortelles

Publié le 01/12/2022
Les infections bactériennes provoquent 7,7 millions de morts par an et un décès sur huit, soit la deuxième cause de décès dans le monde.

Le journal américain The Lancet a publié le 21 novembre une étude systématique qui confirme le problème global des infections bactériennes dans un contexte de résistance microbienne dramatique. Les premières estimations mondiales de la mortalité impliquant 33 agents pathogènes bactériens et 11 types d'infection montrent qu'ils peuvent être associés à 7,7 millions de décès en 2019.

Ces décès représentent 13,6% de tous les décès mondiaux. Cinq agents pathogènes - Staphylococcus aureus, Escherichia Coli, Streptococcus Pneumoniae, Klebsiella Pneumoniae et Pseudomonas Aeruginosa - représentent plus de la moitié de tous les décès liés aux bactéries. Le taux de mortalité associé aux infections bactériennes est le plus élevé en Afrique subsaharienne et le plus faible dans les régions à revenu élevé, notamment en Europe occidentale et en Amérique du Nord.

So what ?

L'étude peut servir à orienter les stratégies de réduction des infections bactériennes, notamment les mesures de contrôle, le développement de vaccins et l'augmentation de la disponibilité des services de soins aigus de base. Les infections bactériennes courantes sont la deuxième cause de décès en 2019, et sont liées à un décès sur huit dans le monde, selon l’analyse publiée dans The Lancet.

La réduction des infections bactériennes est une priorité mondiale stratégique voire géostratégique en matière de santé publique et, on le répète, la deuxième cause de décès en 2019 après les cardiopathies ischémiques. Il est essentiel de renforcer les systèmes de santé en augmentant les capacités des laboratoires de diagnostic, en mettant en œuvre des mesures de contrôle et en optimisant l'utilisation des antibiotiques pour réduire la charge de morbidité due aux infections bactériennes courantes. Le tout sans stimuler la résistance aux antibiotiques (1,9 millions de morts par an mondialement).

« Ces nouvelles données révèlent pour la première fois toute l'ampleur du défi de santé publique mondial que représentent les infections bactériennes », a déclaré le Dr Christopher Murray, coauteur de l'étude et directeur de l'Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) de la faculté de médecine de l'université de Washington. « Il est de la plus haute importance de mettre ces résultats sur le radar des initiatives de santé mondiale afin qu'une plongée plus profonde dans ces agents pathogènes mortels puisse être effectuée et que des investissements appropriés soient réalisés pour réduire le nombre de décès et d'infections. »

Inégalités

Si de nombreuses estimations existent pour des agents pathogènes tels que la tuberculose, le paludisme et le VIH, jusqu'à présent, les estimations de la charge de morbidité des agents pathogènes bactériens étaient limitées à une poignée d'agents pathogènes et de types d'infection spécifiques, ou ne portaient que sur des populations particulières.

En 2019, le nombre de décès liés à deux des agents pathogènes les plus mortels - Staphylococcus aureus et Escherichia Coli - a été supérieur à celui du VIH/sida (864 000 décès). Pourtant, l'analyse montre que la recherche sur le VIH a reçu 42 milliards de dollars, tandis que celle sur E. coli a reçu 800 millions de dollars. Selon les auteurs, de tels écarts de financement pourraient être dus au fait qu'il y avait, jusqu'à présent, un manque de données sur le fardeau mondial de ces infections. On ajoutera l’influence des peurs sociales donc politiques et l’activisme – louable car pro bono – de certains.

La nouvelle étude fournit les premières estimations mondiales de la mortalité associée à 33 agents pathogènes bactériens courants et à 11 types d'infection majeurs - connus sous le nom de syndromes infectieux - conduisant au décès par septicémie. Les estimations ont été produites pour tous les âges et tous les sexes dans 204 pays et territoires. En utilisant les données et les méthodes des études Global Burden of Disease 2019 et Global Research on Antimicrobial Resistance (GRAM) [2], les auteurs ont utilisé 343 millions de dossiers individuels et d'isolats d'agents pathogènes pour estimer les décès associés à chaque agent pathogène et au type d'infection responsable.

En chiffres dans le détail

Sur les 13,7 millions de décès estimés liés à une infection survenue en 2019, 7,7 millions étaient associés aux 33 agents pathogènes bactériens étudiés. Les décès associés à ces bactéries représentaient 13,6 % de tous les décès mondiaux, et plus de la moitié de tous les décès liés à la septicémie, en 2019. Plus de 75 % des 7,7 millions de décès bactériens sont survenus en raison de trois syndromes : les infections respiratoires basses (IRB), les infections sanguines (IS) et les infections péritonéales et intra-abdominales (IPI).

Cinq agents pathogènes - Staphylococcus aureus, Escherichia Coli, Streptococcus Pneumoniae, Klebsiella Pneumoniae et Pseudomonas Aeruginosa - étaient responsables de 54,2% des décès parmi les bactéries étudiées. L'agent pathogène associé au plus grand nombre de décès dans le monde était S. aureus, avec 1,1 million de décès.

Quatre autres agents pathogènes ont été associés chacun à plus de 500 000 décès : Escherichia Coli (950 000 décès), Streptococcus Pneumoniae (829 000), Klebsiella Pneumoniae (790 000) et Pseudomonas Aeruginosa (559 000). Un nombre similaire de décès chez les femmes et les hommes était associé aux principaux agents pathogènes bactériens.

Injustices

Les taux de mortalité normalisés selon l'âge varient selon les régions, tout comme les agents pathogènes les plus meurtriers. L'Afrique subsaharienne a enregistré le taux de mortalité le plus élevé, avec 230 décès pour 100 000 habitants. En comparaison, la superrégion à revenu élevé - qui comprend les pays d'Europe occidentale, d'Amérique du Nord et d'Australasie - a enregistré le taux de mortalité le plus faible, avec 52 décès pour 100 000 habitants. S. aureus était la principale cause bactérienne de décès dans 135 pays, suivi par E. coli (37 pays), Pseudomonas Aeruginosa (24 pays), et Klebsiella Pneumoniae et Acinetobacter Baumannii (4 pays chacun).

« Jusqu'à présent, les estimations au niveau des pays pour les parties du monde où les gens sont le plus touchés par les infections bactériennes étaient notablement absentes », a déclaré Authia Gray, co-auteur de l'étude et boursier post-baccalauréat à l'IHME de la faculté de médecine de l'université de Washington. « Ces nouvelles données pourraient servir de guide pour aider à faire face à la charge disproportionnée des infections bactériennes dans les pays à revenu faible et intermédiaire et pourraient, à terme, contribuer à sauver des vies et à éviter que des personnes perdent des années de leur vie à cause de la maladie. »

Les agents pathogènes associés au plus grand nombre de décès différaient selon l'âge. Avec les 940 000 décès, S. aureus était associé au plus grand nombre de décès chez les adultes âgés de plus de 15 ans. Le plus grand nombre de décès chez les enfants âgés de 5 à 14 ans était associé à Salmonella enterica serovar Typhi, avec 49 000 décès. Chez les enfants plus âgés que les nouveau-nés mais âgés de moins de 5 ans, Streptococcus Pneumoniae a été l'agent pathogène le plus meurtrier, responsable de 225 000 décès. L'agent pathogène associé au plus grand nombre de décès néonatals était Klebsiella Pneumoniae, avec 124 000 décès.

Autocritique scientifique

Les auteurs reconnaissent certaines limites à leur étude, dont beaucoup sont dues à un manque de données. IL existe une limite de disponibilité pour certaines parties du monde, en particulier pour de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI), où la charge de morbidité estimée est la plus importante. Cela souligne la nécessité d'améliorer la capacité de collecte des données et les systèmes de surveillance dans les PRFI. La combinaison et la standardisation de données provenant d'une grande variété de sources introduisent également des sources potentielles de biais, notamment une classification erronée des infections communautaires ou hospitalières, ainsi que des données provenant de systèmes de surveillance passive qui peuvent surestimer la virulence ou la résistance aux médicaments des agents pathogènes.

Singularité

Dans le contexte de réchauffement climatique que nous connaissons et par suite la raréfaction des ressources en eaux, les inévitables migrations climatiques à venir, la réactivation d’agents pathogènes du permafrost réchauffé, la mutation d’autres et la résistance accrue aux antibiotiques, le peu de tropisme scientifique des laboratoires pharmaceutiques pour cause de non-rentabilité, l’avenir s’annonce plus que préoccupant. Ainsi va la vie des Hommes.


Source : lequotidiendumedecin.fr