Quelle est la dynamique observée en matière de dérives sectaires en santé ?
Les indicateurs pointent une augmentation générale des dérives sectaires, y compris dans le domaine de la santé qui cumule un quart des signalements. Avec les demandes d’information, ils ont plus que doublé depuis 2015. La crise du Covid a constitué une rupture avec une hausse de 30 % des signalements entre 2020 et 2021.
Les confinements successifs ont certainement constitué une épreuve et conduit à un isolement qui ont stimulé une demande de soins alternatifs. Le complotisme à l’égard des vaccins et les reproches adressés au gouvernement sur la gestion de crise se sont retournés contre les soignants et ont alimenté une défiance. Des personnes mal intentionnées se sont engouffrées dans la brèche et ont surfé sur cette défiance pour promouvoir toutes sortes de pratiques.
Mais toutes les dérives thérapeutiques ne sont pas à caractère sectaire. Les premières correspondent à des pratiques charlatanesques qui mettent en danger la santé des personnes. Ces pratiques deviennent sectaires quand s’y ajoute la manipulation mentale. Cette dernière peut se révéler très lucrative avec des consultations de pseudo-soins. Dans ce cadre, s’exercent aussi des pressions pour dénigrer les soins médicaux et les traitements. Certains croient tellement en des traitements miracles qu’ils finissent par ne plus accorder aucun crédit aux traitements classiques.
Quelles sont les spécificités des dérives en santé ?
Selon les oncologues, les patients atteints de cancer, surtout s’ils sont isolés et désemparés, seraient particulièrement sensibles à ces discours alternatifs. Les victimes sont souvent celles qui ont le moins accès à l’information ou sont dans une situation de rupture socio-économique. Pour les oncologues, le problème n’est ni théorique ni exotique : ils sont les premiers observateurs des ruptures de soins. Nous travaillons avec l’Institut national du cancer (Inca) sur ce sujet. Sur le fond, les pratiques alternatives ne sont pas forcément dangereuses si elles ne prétendent pas se substituer à la médecine.
Plus globalement, le complotisme, les pratiques alternatives et la désinformation médicale sont des phénomènes liés, qui s’alimentent et s’entretiennent au point de devenir un véritable enjeu de santé publique. Le développement de la rougeole dans des communautés fermées hostiles à la vaccination dans le département du Rhône, par exemple, est un sujet de préoccupation.
La prévention est essentielle. C’est d’ailleurs le premier axe de la stratégie nationale portée par Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté et de la ville. C’est elle aussi qui porte le projet de loi sur les dérives sectaires. La Miviludes fait sa part dans le domaine de la prévention avec par exemple une campagne de sensibilisation et de lutte contre les dérives sectaires qui rappelle les risques à écouter certains discours.
L’instauration d’un délit de provocation à l’abandon de soins, adopté hier à l’Assemblée nationale, peut-elle contribuer à faire reculer le phénomène ?
C’est un outil supplémentaire, c’est concret. Des enjeux de libertés publiques sont à prendre en compte et le travail parlementaire a limité les risques d’une application non conforme à l’objectif initial. L’ambition n’est bien évidemment pas de limiter le débat scientifique ni même l’expression privée.
Le texte peut aussi être utile à la lutte contre la désinformation médicale sur les réseaux sociaux ou à travers les moteurs de recherche, qui est un véritable fléau. On ne peut pas se satisfaire que les premières réponses à des questions de santé relèvent de la désinformation. Une réflexion sera menée dans les mois à venir sur les algorithmes de recommandations, qui ne peuvent menacer la santé publique. Les compétences sont à respecter par une hiérarchie dans les sources. Tout ne peut pas être mis sur le même plan.
Êtes-vous favorable à une obligation de signalement des dérives par les médecins ?
La question est complexe car elle touche au secret médical auquel les médecins sont attachés. La nouvelle loi y répond en introduisant une exception pour tous les professionnels de santé. La loi précise le cadre de signalement au procureur de la République. L’accord de la victime n’est pas nécessaire si elle est mineure ou « n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». « En cas d’impossibilité d’obtenir l’accord de la victime, le médecin ou le professionnel de santé doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ».
Quel est l’objet du partenariat entre la Miviludes et le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) ?
Nous avons signé une convention. Nos contacts sont presque quotidiens. Nous échangeons notamment des informations sur les signalements qui concernent les professionnels de santé. Dès qu’une infraction est constatée, elle est transmise au Cnom. Nos données respectives alimentent les analyses dans ce domaine. Un autre volet porte sur la sensibilisation des professionnels via des actions de formation.
Quels conseils adressez-vous aux médecins confrontés à la dérive d’un patient ?
Le premier enjeu consiste à s’enquérir de ce que font les patients. Quand les médecins sont informés d’une pratique potentiellement dangereuse ou sectaire, ils doivent maintenir le contact coûte que coûte. Lutter croyance contre croyance fait courir un vrai risque de rupture. Demander si la personne a obtenu ce qu’elle attendait de la pratique peut favoriser l’esprit critique. Le plus tôt est le mieux, car il est très difficile d’aider à décrocher d’une dérive avec manipulation mentale.
Les médecins peuvent aussi signaler les dérives. En cas de doute ou de question, ils peuvent nous solliciter via notre plateforme. Un conseiller leur répondra.
Création d’un nouveau délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins
Le Parlement a définitivement adopté, le 9 avril, le projet de loi sur les dérives sectaires, qui instaure un nouveau délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins. Il est passible d'un an d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, voire trois ans de prison et 45 000 euros d'amende quand l'incitation a été suivie d'effets.
Est visée « la provocation, au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées » à « abandonner ou à s'abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique », lorsque cet abandon « est présenté comme bénéfique pour la santé », alors qu'il peut avoir des « conséquences particulièrement graves ».
« Il n'est pas dans l'intention du gouvernement d'interdire la critique médicale », « d'empêcher les malades de décider en toute conscience et pleinement éclairés de prendre ou de s'abstenir d'un traitement », ni « d'épingler les discussions familiales ou amicales », a insisté devant les députés la secrétaire d'État Sabrina Agresti-Roubache. Elle répondait ainsi aux inquiétudes exprimées dans les oppositions, par les députés Insoumis, communistes, Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN), qui ont voté contre le texte, alertant sur une menace pour les « libertés publiques ».
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