Éco-anxiété : repérer quand les émotions liées aux changements climatiques font trop souffrir

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Publié le 16/08/2023

Crédit photo : BURGER / PHANIE

L'appréhension des dangers qui pèsent sur la planète peut être forte. Ce mal-être n'est pas une maladie mais peut rendre malade si elle n’est pas repérée et perdure. Pour le Pr Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie au CHU Henri-Mondor/Albert-Chenevier, l'éco-anxiété est « un état de malaise psychologique de degré variable, caractérisé par l’appréhension d’une menace plus ou moins éloignée dans le futur et significativement associée à la catastrophe écologique. Cette dernière est perçue comme incertaine, difficilement prévisible et peu contrôlable ».

Deux millions et demi de Français souffriraient d’éco-anxiété, qui pourrait devenir un problème de santé publique, au vu de l’accroissement et l’intensification des phénomènes climatiques.

Les personnes éco-anxieuses le sont devenues suite à une triple confrontation, à la fois aux événements climatiques extrêmes, aux données scientifiques, sources de forte inquiétude, et aux attitudes de non-prise en compte et d’inaction de la part d'autrui.

Des dérèglements émotionnels

Spécialiste de l’anxiété, le Pr Pelissolo décrit dans un livre paru en 2021* le mélange d’émotions douloureuses que vivent ses patients : peur, angoisse, détresse sous forme de tristesse, découragement, culpabilité et honte, frustration et impuissance, ressentiments, voire colère envers les pouvoirs publics, les industriels, les politiques, les proches.

« Ces dérèglements émotionnels vont faire place à des symptômes que j’ai vu apparaître petit à petit chez mes patients et qui sont devenus à présent des motifs de consultation à part entière », observe le psychiatre, professeur à l'Université Paris-Est Créteil et chercheur à l'Institut Mondor de recherche biomédicale (Inserm). Et de lister ces symptômes : « l’inquiétude obsédante avec un pessimisme permanent et des questionnements récurrents, des troubles de la concentration, des pertes de motivation et de l’énergie vitale, des troubles du sommeil dus aux obsessions et aux réveils nocturnes par angoisse, des préoccupations alimentaires avec l’idée de modifier ses comportements et une perte de sens avec un questionnement existentiel ».

Si les émotions générées sont naturelles, voire utiles et poussent à la mobilisation de la personne et de sa communauté, « toute perturbation émotionnelle durable peut se compliquer de troubles anxieux et dépressifs. Il peut aussi y avoir des points de départ de certaines dérives de jugement », pointe le Pr Pelissolo. D’où l’importance du repérage.

Un phénomène qui touche les plus jeunes

Troubles de l’adaptation, état dépressif, troubles anxieux généralisés, troubles de panique, troubles obsessionnels compulsifs, état de stress post-traumatique sont des diagnostics à envisager.

Des échelles et des questionnaires issus d’études psychométriques (Climat Change Worry Scale 2021, Hogg Eco-Anxiety Scale 2021, Climate Change Anxiety Scale 2020) permettent d’évaluer spécifiquement l’intensité de la souffrance.

À noter l’ouverture récente de la Maison des éco-anxieux, plateforme internet sur laquelle il est possible d’évaluer gratuitement l’intensité de son éco-anxiété, grâce à un questionnaire en 13 items mis au point avec des psychologues. Suivant le score obtenu, il peut être proposé de consulter un thérapeute afin d’approfondir les investigations.

Apprivoiser puis transformer

La prise en charge de l’éco-anxiété est adaptée au patient. En premier, écouter et légitimer son ressenti. Puis lui donner les moyens de comprendre et d’accepter ses émotions.

Lorsque l’éco-anxiété normale est « dépassée » et que le patient est découragé ou paralysé, profondément anxieux ou dépressif, une prise en charge spécialisée s’impose proposant une déconnexion, une psychothérapie et éventuellement un traitement médicamenteux.

Des psychologues, psychothérapeutes et médecins se sont regroupés en association au sein du réseau de professionnels de l’accompagnement face à l’urgence écologique (Rafue), proposant dans un premier temps un annuaire de spécialistes.

Différents outils thérapeutiques ont montré leur efficacité dans ce type de problématique : relaxation, respiration, gestion du stress, méditation pleine conscience, activité physique régulière, diététique adaptée, psychothérapie. « La proximité avec la nature se révèle intéressante. À présent, il existe des prescriptions d’espaces verts, des recherches mettent en lumière la relation inverse entre quantité d’arbres près du domicile et l’usage d’antidépresseurs », suggère le Pr Pelissolo.

L’accompagnement peut être individuel ou collectif avec des « groupes thérapeutiques » ou encore des groupes de parole. Il dessine des trajectoires d’ajustement émotionnel : de la tristesse à l’activation des ressources personnelles, du traumatisme invalidant au développement post-traumatique, de la perte de sens à sa capacité à donner du sens à sa vie. L'un des objectifs est d'amener à l'action et à un sentiment d'utilité afin de se libérer des émotions négatives, par exemple en s'engageant dans des éco-projets. Et si les éco-anxieux, par leur éco-lucidité, étaient notre chance ?

*Les émotions du dérèglement climatique : l’impact des catastrophes écologiques sur notre bien-être et comment y faire face, Pr Antoine Pelissolo et Dr Célie Massini, éditions Flammarion, 2021

Pour aller plus loin :

• Éco-anxiété, vivre sereinement dans un monde abîmé, Dr Alice Desbiolles, éditions Fayard, 2020

• N’ayez pas peur du collapse, Pierre-Éric Sutter et Loïc Steffan, éditions Desclée de Brouwer, 2020

• Bien vivre son éco-anxiété. Prendre soin de soi en prenant soin du monde, Pierre-Éric Sutter et Sylvie Chamberlin, éditions Geresco, 2023

• Petit Guide de survie pour éco-anxieux, Charline Schmerber, éditions Philippe Rey, 2022

• Webinaire du réseau Île-de-France Santé Environnement (Îsée) le 22 juin 2023 en replay


Source : lequotidiendumedecin.fr