Tribune Jean-Pierre Blum

Opiacés, un accord "amiable" pour 500 000 morts. Moralité ? Pas de moralité.

Publié le 02/09/2021

« Ces quatre sociétés ont non seulement contribué à déclencher la crise, mais elles ont continué à l’attiser pendant plus de vingt ans. Aujourd’hui, nous les tenons pour responsables et nous injectons des milliards de dollars dans les communautés à travers le pays. » Voilà la déclaration de Letitia James, procureur général de l’État de New-York (États-Unis) relatée par le New York Times.

26 milliards

Qui sont ces quatre mousquetaires du cynisme commercial qui ont accepté de payer leur virginité – et surtout celle de leurs dirigeants – pas moins de 26 milliards de dollars ? Johnson & Johnson (5 milliards de dollars), McKesson (devenu Maincare), Cardinal Health et AmerisourceBergenbien. McKinsey, conseiller en stratégie a accepté le versement de 573 millions de dollars pour faire cesser les poursuites. D’autres bienfaiteurs de l’Humanité sont dans l’œil du cyclone que sont Teva, Allergan, ou Endo, et les grandes chaînes de pharmacies américaines, telles que Walgreens, CVS, ou les points pharmacies des magasins Walmart. On attend par ailleurs le résultat de pas moins de 4 000 actions d’associations de patients. Si l’on en croit les juristes américains, on devrait approcher à terme les volumes de compensation des actions en justice contre les cigarettiers dont on rappelle qu’ils se sont montés à 250 milliards de dollars. Sans que les condamnés ne partent en fumée pour autant.

Cocoricopiacés

La procureure du Massachusetts, Maura Healey demande au tribunal de condamner Publicis Health à payer des dommages et intérêts « compensatoires » d'un montant non précisé. La filiale du géant publicitaire français est accusée d'avoir contribué à la crise des opiacés en aidant le laboratoire Purdue à pousser la prescription de l'anti-douleur OxyContin. Publicis Health, malgré des dénégations bien lâches, devrait passer à la caisse et lourdement. La famille Sackler, propriétaire des Laboratoires Purdue, a proposé une transaction libératoire d’un montant de 4,3 milliards de dollars à la Justice. Montant déclaré notablement insuffisant par cette dernière. Le jugement a été rendu et accepté le 2 septembre 2021.

Motif : « La responsabilité pour la crise des opiacés traverse toute l'industrie, depuis Purdue et la famille Sackler jusqu'aux consultants et aux partenaires comme McKinsey et Publicis », a affirmé la procureure du Massachusetts, selon le journal Le Monde. Dans la plainte déposée devant le tribunal du comté de Suffolk, l’État affirme que, « via des dizaines de contrats passés entre 2010 et 2019, d'une valeur de plus de 50 millions de dollars, Publicis a engagé une myriade de stratégies injustes et trompeuses qui ont pesé sur la prescription d'OxyContin à travers le pays, y compris dans le Massachusetts » . Parmi ces « stratégies », on notera des actions visant à « combattre les hésitations des médecins prescripteurs, à pousser les praticiens à prescrire l'OxyContin plutôt que des opiacés plus faiblement dosés, et sur des durées plus longues - autant d'éléments qui augmentent les risques de dépendance ». La procureure du Massachusetts demande au tribunal de constater que Publicis Health a « créé une nuisance publique » et de condamner l'entreprise à payer des dommages et intérêts « compensatoires » d'un montant non précisé. « Tout notre travail était complètement légal », a réagi, « courageusement », un porte-parole de Publicis Health dans un communiqué de « haute portée morale », et affirmé que les faits reprochés tombaient sous le coup de la prescription. « Publicis Health agissait uniquement comme agence de publicité » et ne faisait qu'« exécuter le plan publicité de Purdue et acheter des espaces publicitaires », a-t-il ajouté, accusant la procureure d'avoir pris des déclarations « hors de contexte ».

Publicis est formellement soupçonné, documents à l’appui d’avoir « conseillé » de cibler les populations les plus faibles et les moins éduquées. Le deuxième groupe mondial de communication, fort de clients de grande réputation éthique tels Phillip Morris (cigarettes), Bayer-Monsanto (Roundup, glyphosate, etc.), Pernod Ricard (alcool), a d’ailleurs une charte de responsabilité sociale qui fait rire dans le présent contexte. « L'entreprise a toujours porté une attention particulière à la gouvernance et à l'éthique, qui sont des dimensions essentielles d'une activité qui vise à défendre et illustrer la réputation des produits et des marques, et à créer un lien avec les consommateurs, qui doit reposer sur les notions de confiance et de respect », selon Mediapart.

Avec le réchauffement climatique, Publicis vend désormais plus écolo, plus vert. Mais attention, sans oublier le vert de celui qu’on voit sur les billets de dollars. Bref on dirait que le ver est dans le fruit… de la croissance à n’importe quel prix. 500 000 morts en vingt ans. À l’insu de son plein gré alors. On attend une mise au point du président de Publicis aux Editions Pavot.


Source : lequotidiendumedecin.fr