Disparition de Philippe Tesson : l'hommage de Richard Liscia, ancien directeur de la rédaction

Publié le 02/02/2023
Un prince du journalisme

Un prince du journalisme
Crédit photo : S.Toubon

La mort d'un être cher, surtout s'il est âgé, est à la fois un événement prévisible et insupportable. Fondateur du « Quotidien du Médecin », avec la forte contribution de son épouse hélas décédée, la Dr Marie-Claude Tesson Millet, Philippe Tesson est mort le 1er février au soir. Pour tous ceux qui l'ont connu et ont travaillé avec lui, c'est une perte indescriptible. Je crois pouvoir dire que Philippe a transformé les gens de son entourage, qu'il les a bonifiés en quelque sorte et en tout cas qu'il en a fait de bons journalistes.

Ceux qui ne l'ont pas rencontré ne sauraient imaginer la simplicité de cet homme. Il était ouvert à toute suggestion, il écoutait attentivement son interlocuteur. Mieux : il tenait à vous laisser l'impression qu'il n'y avait pas plus proche de vous que lui, qu'il vous traitait d'égal à égal et d'ailleurs il n'était jamais avare d'un compliment quand vous réussissiez un travail. Fils prodige de la bourgeoisie, il avait fait ses premières armes à « Combat », puis créé « Le Quotidien de Paris », une invention sans précédent dans l'histoire du journalisme français qui permet de se référer à Tesson comme à un génie créatif, imité d'ailleurs dans toute la presse nationale.

Ce n'était pas facile de se lancer ainsi dans une aventure dont les pièges les plus dangereux étaient ceux de l'argent. Qu'à cela ne tienne : c'est lui qui, voyant la boîte aux lettres de son épouse médecin déborder de publicité pharmaceutique, a eu l'idée de créer un journal et un quotidien de surcroît, qui ouvrirait les bras à tous ces messages et deviendrait le fédérateur numéro un de la profession médicale, toutes spécialités confondues ; puis le « Quotidien du Pharmacien », puis il a racheté « le Généraliste ». Cette presse-là a connu des hauts et des bas, mais les journaux de Tesson ont toujours joué une musique particulière. Il n'y avait pas que le message, il y avait l'état d'esprit, l'impertinence, seul levier pour contrebalancer les pouvoirs publics, le défi.

De ses journaux, il était certes le fondateur, le concepteur, le réservoir d'idées. Il avait en outre une innocence inépuisable, une sorte de naïveté qui le conduisait ici à croire qu'il assistait à un événement historique, là à une séquence émotionnelle sans pareille, là encore à une nouvelle méritant qu'on refasse le journal du jour. Il n'existe pas de journalisme de talent qui ne soit inspiré par l'étonnement, première phase de l'émerveillement. Il fallait tous les jours que la surprise nous sortît du scepticisme et nous devions être, en quelque sorte, des journalistes à peine éveillés de leur torpeur qui s'abandonnent d'un seul coup à la passion de révéler.

De ce monde et hors du monde

Ce professionnel, ce modèle d'un métier par ailleurs unique et éblouissant, était en outre le meilleur des hommes, jamais à court de compréhension, d'amitié et même d'affection, il n'aurait en aucun cas donné des directives sans s'être enquis de la santé de ses collaborateurs et de leur famille. Un prince du journalisme, disions-nous, parce qu'il avait non seulement le talent, mais aussi une grâce très particulière : il ne donnait pas d'ordres, il vous persuadait de ce que vous deviez faire. Et puis Tesson n'était jamais qu'une chose. Il savait écrire et aurait dû publier plus de livres qu'il n'en a produits. Mais il était aussi pianiste et aurait pu faire carrière, comme s'il n'y avait pas de métier au monde où il n'aurait pas brillé. Enfin, il avait pour le théâtre une passion infinie. Il en était le chroniqueur assidu, il a acheté un théâtre, qu'il gérait avec sa fille Stéphanie. Oui, il savait profondément qu'il était unique mais il prenait l'air de celui qui n'en savait rien, pas plus talentueux qu'un autre, pas plus érudit qu'un autre et même pas plus généreux que tous les autres.

Dans mon chagrin, j'ai au moins le bonheur d'avoir rencontré cet homme, le plus distingué des Français, le plus aimant des maris et des pères et le meilleur ami que vous puissiez avoir. On parle beaucoup des hommes et des femmes qui tiennent le haut du pavé à Paris. Philippe Tesson était à la fois de ce monde et hors du monde. Il était chez lui dans les pourpres du pouvoir, chez lui avec les plus humbles de ses concitoyens. Sa force tenait à ce qu'il se présentait à tous comme leur vassal alors qu'il en était le suzerain naturel. 

 

Les lecteurs qui souhaitent adresser leurs contributions en hommage à Philippe Tesson peuvent les adresser à la directrice de la rédaction du « Quotidien »   aurelie.dureuil@gpsante.fr .

 

 

 

Richard Liscia

Source : lequotidiendumedecin.fr