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Dossier

Etats généraux de la bioéthique

AMP, GPA, fin de vie... : l'éthique à l'heure d'une science galopante

Par Coline Garré - Publié le 22/01/2018
AMP, GPA, fin de vie... : l'éthique à l'heure d'une science galopante

delfraissy
SEBASTIEN TOUBON

Quel monde, quelle éthique voulons-nous aujourd'hui, pour demain ? Vous avez six mois pour y répondre. Du moins, pour vous questionner. 

Le Pr Jean-François Delfraissy a fait le souhait d'un débat serein où triomphe l'intelligence collective, et qui puisse intéresser tous les citoyens. Un débat où les voix de tous puissent s'exprimer, et qui ne soit pas confisqué par les plus extrêmes. « Un exercice de démocratie participative », a résumé le Pr Régis Aubry, membre du CCNE. L'objectif : préfigurer la troisième révision des lois de bioéthiques depuis leur adoption en 1994, après les précédentes modifications en 2004 et 2011 (en vertu de dernière révision, le CCNE a eu la responsabilité de l'organisation de ces États généraux). 

L'ouverture est le mot d'ordre de ce premier temps consacré à la réflexion, auquel succédera à l'automne le temps politique, qui risque d'avoir un effet entonnoir. « Tout ne sera pas dans la loi, mais plus clairs seront les débats, plus de force ils auront sur la loi » encourage le Pr Delfraissy. 

Parmi les sujets phares, figurent bien sûr ceux poussés par des demandes sociétales : l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes célibataires (60 % des personnes sondées par l'IFOP en décembre 2017 y sont favorables, contre moins de 25 % en 1990), qui entraînera avec elle un questionnement sur les principes du don aujourd'hui anonyme et gratuit et la gestation pour autrui (GPA). Et la fin de vie puisque le vote de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2017 n'a pas clos le débat autour de l'assistance au suicide. Selon le même sondage, 89 % des Français se prononcent en faveur d'une légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté.

Reproduction, génétique et génomique, I.A., environnement...

D'autres thématiques s'imposent du fait des avancées de la science, « indiscutables et de plus en plus rapides ». « Il est hors de question de vouloir arrêter ces progrès, mais il est temps de s'interroger sur les aspects éthiques », a expliqué le Pr Delfraissy. Les sociétés savantes sont invitées faire connaître par écrit leurs positions au CCNE avant d'être auditionnées.

Les débats porteront sur les domaines de la reproduction, du développement embryonnaire et de la biologie des cellules-souches pluripotentes (voir ci-contre), ainsi que sur l'évolution des techniques de séquençage et d'ingénierie génomique. « Lorsque l'on séquence le génome d'un patient, quels sont les médecins qui peuvent avoir accès aux données ? Qu'en est-il des données incidentes ? Que faire si, à l'occasion d'une recherche sur une maladie particulière, on tombe sur une mutation liée à une maladie génétique autre ? » s'interroge le Pr Alain Fischer (service immunologie, greffe de moelle osseuse, maladies rares, de l'hôpital Necker-Enfants Malades). De son côté, le Pr Arnold Munnich, co-fondateur de l'Institut Imagine* espère que ces états généraux contribueront à dissiper les malendus qui existent entre « ce que nous pouvons faire, et ce que l'opinion pense qu'on peut faire ». « Oui, nous devons nous interroger sur le fait de savoir si ce qui est techniquement possible aujourd'hui (dépistages pré-conceptionnels, par exemple) est éthiquement souhaitable » mais il invite à ne pas fantasmer les promesses de la génétique (seule une petite séquence de variations génétiques est interprétable), ni à mettre sur le même plan les enjeux suscités par Crisp-Cas9. 

L'explosion des big data, le développement de l'intelligence artificielle (qui questionne la responsabilité des humains vis-à-vis de l'utilisation des robots, voire leur substituabilité), les neurosciences, le don et la transplantation d'organe, ou encore les liens entre santé et environnement seront également au cœur des échanges.

Site web, débats, comité citoyen...

Le CCNE croise toutes les approches pour prendre au mieux le pouls de la société. Un site web dédié aux États généraux recueillera dès février l'expression de qui veut. Une soixantaine de débats citoyens seront organisés jusqu'en mai par les espaces éthiques régionaux, selon des modalités diverses, avec un volet spécifique consacré aux lycées. Les membres du CCNE auditionneront les sociétés savantes, associations, et organisations cultuelles qui le souhaitent, ainsi que les comités d'éthique des instituts de recherche. 

Fait inédit, un comité citoyen représentatif de la société portera un regard critique sur l'ensemble du processus et rendra un avis indépendant au CCNE. Cet avis, ainsi qu'un rapport de synthèse du CCNE, sera remis en juin à l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPESCT). Une séance finale en juillet, « probablement sous l'égide du Président de la République » clôturera ces États généraux. Puis le CCNE sortira de son rôle de « synthétiseur », pour rendre en son nom un avis sur les priorités qui pourraient figurer dans la loi. S'ouvrira alors le volet politique, avec un projet de loi sera finalité à l'été 2018, pour un dépôt au parlement à l'automne, en vue d'une adoption au premier semestre 2019. 

*Auteur de « programmé mais libre », Plon, janvier 2016. 

Coline Garré