Entre besoin d'informations et intelligence collective

Comment des étudiants marseillais dissèquent un cas clinique

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Publié le 09/05/2018
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neo nat

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Crédit photo : PHANIE

Hôpital de la Timone, un vendredi matin. Des grappes d'étudiants se pressent dans l’espace éthique méditerranéen, un patio de lumière insoupçonnable au bout des couloirs gris de l’aile historique. L’équipe est aux petits soins pour les accueillir : café, thé, viennoiseries, et bonne humeur. 

Neuf heures sonnent. Les quelque 90 jeunes s’assoient par promo : infirmiers, sages-femmes, puériculture, sciences humaines, psychologie sociale, quelques médecins, liés à l’aumônerie de l’hôpital, étudiants en économie et lycéens. Au micro, le Dr Marie-Ange Einaudi, pédiatre néonatologiste et chercheur en éthique, énonce les règles du jeu : réfléchir à partir de cas cliniques et mettre à jour un conflit de valeurs, dans l'écoute et le respect de la parole de l'autre. Un philosophe, une avocate, un généticien et une juriste sont là pour les éclairer. 

La bioéthique, abstraite ? Les lumières s’éteignent, sur l’écran apparaissent les images de « Bienvenue à Gattaca » : un monde où les risques individuels de morbi-mortalité sont calculés dès la naissance, où à partir d'un cheveu, l'on connaît le profil ADN d'un futur géniteur.

Le premier cas clinique est lu : des parents qui, après avoir eu recours à un dépistage prénatal non invasif de la trisomie 21, négatif, donnent naissance à un enfant souffrant de mucoviscidose, sont dans l'incompréhension : ne pouvait-on pas le savoir avant ? Pourquoi n'a-t-on rien fait pendant la grossesse ou avant la conception ?

Silence dans la salle. Précautionneusement, les premières mains levées s'interrogent sur la nature des tests : quelles sont les modalités du dépistage de la trisomie 21 ? Quelles pathologies dépiste le test de Guthrie ?

Cela sera une constante tout au long de la journée que ces questions sans arrières pensées, par curiosité et sincère besoin d'informations, qui appellent des réponses nuancées, évitant une sclérose immédiate du dialogue par des (op) positions tranchées.

Par exemple : « Pourquoi dépister la trisomie 21 et non d’autres maladies ? » « Quelle est la fiabilité des tests vendus sur internet ? » « Peut-on poser un cadre juridique européen ou mondial ? »

L'après-midi, orchestré par l'équipe de l'espace éthique azuréen (le bras niçois de l'espace éthique PACA-Corse), est consacré à l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) à toutes les femmes et à l'autoconservation ovocytaire. Un cas met en scène un couple de femmes qui s'interroge sur le recours à des dons sauvages sur les réseaux sociaux ou à des banques de sperme. Premières réactions : qu'est ce qu'un don sauvage ? Comment fonctionnent les CECOS ? Quel est l'âge légal du remboursement d'une AMP ? Et en Espagne ?

Puis les langues se délient, la discussion s'enrichit du vécu de chacun, personnel un peu, professionnel, surtout. Preuve s'il en fallait que la bioéthique touche au cœur de la vocation de soignants.  

Impasses, impromptus, et inventions

Les chemins pris sont inattendus. Le dépistage prénatal vire à la question de l'accompagnement des personnes handicapées dans/par la société. L'ouverture de l'AMP à toutes devient un questionnement sur l'anonymat du donneur, hétéros et homos confondus. « Ils ont évacué rapidement la question du père », s'étonne le Dr Gilles Bernardin, président de l'espace éthique azuréen. Les étudiants entérinent les évolutions sociales, et imaginent de nouveaux mots pour nommer le donneur : le père biologique, le géniteur, le parrain ? « Peut-on imaginer une triple filiation ? - C’est chaud pour le père stérile ! Un statut spécifique pour le donneur ? ». Et si l'on donnait une photo du donneur à l'enfant ? propose une étudiante en sciences humaines.

Certaines routes se révèlent des impasses. Comment juger de la dignité d'une vie ? Tout l'art d'un Stephen Hawking ou d'un Grégory Lemarchal ne suffit pas à faire boussole. Faut-il un papa et une maman, ou qu'importe le sexe ? Quelques arguments sortent tout droit de la manif pour tous : ne pas institutionnaliser une société sans père, considérer l'enfant non comme le moyen de la satisfaction de son désir, mais comme une fin…

Le spectre de l'eugénisme surgit à plusieurs reprises, souvent articulé avec la pression sociale, deux repoussoirs. L'ouverture d'un droit en fait-il une norme ? Élargir les dépistages prénatals conduira-t-il à davantage d'IMG, moins de personnes handicapées, et in fine à une société toujours plus exclusive ? L'autoconservation ovocytaire est-elle une nouvelle possibilité pour les femmes ou la soumission de leur corps aux injonctions du monde du travail ?

Ping-pong entre le oui et le non. La coordinatrice de l'espace éthique méditerranéen , le Dr Perrine Malzac se glisse dans le jeu : « Faut-il choisir son camp ? ». Une élève infirmière prend la balle au bond : « Ce n'est pas parce qu'on développe la recherche en génétique, qu'on doit arrêter de développer l'accompagnement des plus vulnérables et la recherche ! ». Comment dès lors assurer les conditions d'un libre choix, qui ne soit pas induit par la société ?

Cette journée, où les jeunes ont pu s'informer et réfléchir ensemble, est en elle-même l'un des éléments de réponse.

*Programme sur le site etatsgenerauxdelabioethique.fr

De notre envoyée spéciale Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9653