Être parent avec des troubles psy

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Publié le 03/06/2022
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Au 1 er janvier 2023, les personnes avec troubles psychiques auront accès à la prestation de compensation du handicap (PCH) parentalité, comme les autres personnes handicapées. Un pas de plus vers la reconnaissance de leur devenir parents, qui reste néanmoins inégalement accompagné en France et encore objet de préjugés.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

« Mon médecin n’était pas réticent face à mon projet de grossesse, mais j’ai mis du temps à trouver un accompagnement adéquat. » Camille Niard, paire-aidante, a 16 ans quand est posé un diagnostic de troubles bipolaires, traitements à la clé. « Lorsque je me suis sentie prête, avec mon compagnon, à avoir des enfants, on m’a dit d’arrêter les médicaments. Quelques mois après, j’ai décompensé… C’est à l’hôpital qu’une psychiatre a adapté mon suivi et m’a orientée vers la bonne structure », raconte-t-elle.

Avoir un enfant lorsqu’on souffre de troubles psychiques est aujourd’hui mieux reconnu par la société et le corps médical, mais la méconnaissance de l’accompagnement et des parcours de soins nourrit encore inquiétudes, préjugés, voire jugements moraux.
La structure dont Camille Niard a bénéficié est la Consultation d’information de conseils et d’orientation des femmes suivies pour troubles psychiques, enceintes ou avec désir d’enfant, la Cico du GHU de Paris (Sainte-Anne), ouverte en 2011. « Nous voyions dans nos services de psychiatrie beaucoup de femmes qui décompensaient après avoir interrompu leurs traitements. Il nous a paru indispensable de leur proposer une structure pour améliorer la prévention et les accompagner », explique la Dr Marie-Noëlle Vacheron, psychiatre, qui partage la responsabilité du service avec le Dr Romain Dugravier, pédopsychiatre. La création de la Cico acte un changement de paradigme : « Auparavant, les femmes avec un trouble psy voulaient passer inaperçues. Désormais, l’on reconnaît que leur maternité est possible et qu’elle doit être bien accompagnée », commente le Dr Dugravier. « Nous n’avons pas toutes besoin d’un suivi particulier, mais il est nécessaire de savoir qu’il existe. Et qu’on doit se préparer, d’autant plus que nous avons des fragilités », enchérit Camille Niard.

Adaptation des traitements, apaisement des angoisses

La Cico accueille ainsi des femmes souffrant de troubles bipolaires (pour les deux tiers), de pathologies psychotiques ou de troubles anxiodépressifs chroniques, orientées par leur psychiatre, la maternité, leur généraliste ou venues d’elles-mêmes, avant ou pendant la grossesse.

Leurs craintes se cristallisent autour des traitements et des risques de transmission de la pathologie à l’enfant. « Une grossesse sans traitement est très risquée, pour la femme, et peut-être même pour l’enfant comme le suggèrent de récentes études. Mais il faut trouver le plus adapté », commente la Dr Vacheron. « Les femmes ont aussi peur de n’être pas à la hauteur, peur qu’on leur enlève leur enfant et l’impression de n’avoir pas le droit à l’erreur », ajoute Camille Niard, qui a animé pendant deux ans un groupe de psycho-
éducation sur le désir d’enfant. « Toutes ces questions s’anticipent en se penchant sur le parcours de soins, la dynamique du couple, l’environnement social et professionnel, la capacité à reconnaître ses symptômes de rechutes », poursuit la Dr Vacheron. « Jamais on ne prend une décision à la place des couples », insiste-t-elle.

À la Cico, une première consultation longue (1 h 30) donne lieu à des recommandations et à des conseils de suivi. « J’avais peur de faire un baby blues à l’envers : d’être excessivement heureuse après l’accouchement. Alors j’ai eu un suivi semblable à celui d’une grossesse à risque et j’ai pu aller en unité kangourou », explique Camille Niard.

Depuis deux ans, la Cico a mis en place un parcours de soins complexe coordonné : une infirmière rappelle la famille pour savoir si elle a trouvé les ressources, et, en cas de difficulté, fait le lien avec les structures ad hoc. La Cico peut revoir certaines femmes plusieurs années après l’expression du désir d’enfant, ou en post-partum, tandis que les enfants sont suivis au sein du même pôle dans les services de psychiatrie périnatale ou de pédopsychiatrie jusqu’à trois, voire six ans. « Les risques sont différents selon les troubles et surtout, l’étayage de la mère ; on travaille en général sur l’interaction mère-enfant », indiquent les psychiatres.

Un maillage territorial incomplet

D’autres services existent, comme les services d’accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap (Sapph), qui accueillent les futurs parents de l’anténatal jusqu’au 7, voire 18 ans de l’enfant. Le pionnier, à Paris, travaille en étroite collaboration avec la Cico et s’occupe surtout du handicap sensoriel et moteur. En Gironde, un Sapph a ouvert en 2019 et intervient à domicile. « On peut recevoir les personnes avec troubles psy pour les aider à identifier leur désir de parentalité, les responsabilités à venir, les aides qu’elles peuvent recevoir, les points de vigilance. Puis l’on aide les parents à répondre aux besoins de l’enfant. Les parents avec handicap psy écoutent, mais peuvent rester démunis, sans savoir identifier les émotions de leurs enfants », décrit Laure Carpentey, sa responsable.
Grâce à de tels dispositifs, « avoir un enfant devient un facteur de rétablissement et d’épanouissement », estime Camille Niard. Et « les enfants peuvent avoir une réponse à leurs besoins », ajoute Laure Carpentey. Les professionnels constatent une diminution des placements.« Cela est arrivé deux fois depuis 2019 à une cinquantaine de couples, alors qu’auparavant, 80 % des enfants de mères avec des troubles étaient placés dès les six premiers mois », constate la responsable du Sapph de Gironde. Mais ces structures sont rares.

Le gouvernement entend étoffer le maillage. En octobre 2020, le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance Adrien Taquet avait annoncé, dans le cadre du programme des 1 000 jours, la création d’un Sapph par région : trois millions d’euros devaient permettre d’en ouvrir six en 2021, sur la base d’un cahier des charges formalisé dans une instruction du 14 mai 2021. Des centres ressources vie intime, affective, sexuelle et de soutien à la parentalité, annoncés en 2019 dans le cadre du Grenelle des violences faites aux femmes, commencent à s’organiser, avec pour objectif d’être un guichet d’orientation vers les ressources locales. La démarche Handigynéco (intervention des sages-femmes en établissement pour un suivi gynécologique, une sensibilisation à la vie affective et aux violences), mise en place en Île-de-France, devrait s’étendre à la France entière en 2023. Une circulaire publiée en juillet 2021 rappelle le droit au respect de l’intimité et des droits sexuels et reproductifs des personnes accompagnées dans les services et établissements médicaux sociaux.

Beaucoup espèrent que le développement des dispositifs et des discussions changera les mentalités, y compris chez les médecins, pour que la grossesse d’une femme avec un trouble psy chronique ne soit plus de l’étrangeté ou de l’insécurité. « Il faut encore travailler les représentations relatives à la sexualité et la parentalité des personnes en situation de handicap. Il y a encore deux semaines, une femme en fauteuil m’a rapporté s’être entendue dire par son gynécologue : "dans votre état, il serait plus judicieux de ne pas avoir d’enfant" », déplore la sage-femme coordinatrice du Sapph parisien, Sabrina Hedhili.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin