Intox, rumeurs, infodémie…

Le médecin, meilleur rempart face aux fake news

Par
Publié le 09/04/2021
Article réservé aux abonnés
Depuis un an, la crise sanitaire nourrit la propagation des fake news sur les réseaux sociaux, en particulier sur les sujets liés au coronavirus et aux vaccins. À l’initiative du LEEM (Les entreprises du médicament), sociologues, patients, médecins et institutionnels ont tracé des pistes pour lutter contre ce fléau.

Crédit photo : DR

Le but des vaccins est de faire de nous des robots. La 5G est responsable de la propagation du coronavirus. Le Covid-19 est un mélange entre le SRAS et le VIH. Le masque provoque un empoisonnement au dioxyde de carbone. Ingérer du désinfectant permet de détruire le virus. La cocaïne tue le coronavirus… En même temps que le SARS-CoV-2 gagnait le monde entier, les fausses informations et intox en tout genre proliféraient sur les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, dans certains médias, et même dans la bouche du président des États-Unis.

Lors d’un colloque organisé par le LEEM (Les entreprises du médicament), début avril, chercheurs, professionnels de santé et institutionnels ont tenté d’identifier les causes de ce phénomène qui nourrit le complotisme et ont réfléchi à des solutions pour y faire face.

Dérégulation du marché de l’information

La multiplication des canaux de communication et de partage (instantané) a favorisé la propagation des fausses nouvelles, en plaçant sur le même plan les théories les plus fantaisistes et les informations vérifiées. C’est ce que le sociologue Gérald Bronner, spécialiste des croyances collectives, nomme la « dérégulation du marché de l’information ». « Entre les thérapies alternatives, les propositions sectaires, les théories du complot et les propositions de la science, il y a aujourd’hui une concurrence ouverte sauvage ! », analyse le professeur à l’Université de Paris, membre de l’Académie de médecine. « Aujourd’hui, avec un compte Facebook, on peut concurrencer sur le marché de l’information un grand professeur de médecine sur la question de la vaccination », illustre Gérald Bronner. Pour appuyer son propos, le sociologue avance cette statistique édifiante sur la masse inédite des nouvelles qui circulent : « Sur les deux dernières années, nous avons produit 90 % de l’ensemble des informations disponibles sur cette terre ». Difficile de faire le tri dans une telle avalanche.

La peur et l’ignorance, vecteurs du mensonge

Cette dérégulation, conjuguée à la peur provoquée par l’épidémie, a contribué à faire fleurir les fake news. Mais, passé l’aspect parfois comique de certaines rumeurs, le danger qu’elles représentent est bien réel, notamment pour les patients. « Nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous combattons aussi une infodémie », avait résumé, dans ce néologisme, le directeur général de l’OMS, dès février 2020.

En tant que présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO), Anne-Sophie Joly n’a pas attendu la crise du Covid pour mesurer les risques de mensonges ou d’inventions qui prospèrent sur l’ignorance. « Manger de la soupe aux choux, prendre la gélule de perlimpinpin ou acheter tel régime à la mords-moi le nœud qui vous fera maigrir… » : l’obésité ne manque pas de « croyances » contre lesquelles la responsable s’acharne à lutter. Malgré les 18 pathologies associées, il y a toujours « une méconnaissance totale de ce qu’est l’obésité, de ce qu’elle peut entraîner », s’agace Anne-Sophie Joly, pour qui le salut passe par la pédagogie et la vulgarisation des faits scientifiques.

Le défi de la science dans l’urgence

Avec cette pandémie imprévisible, la multiplication des experts – ou des pseudo-experts – conviés en continu sur les plateaux de télévision a nui à la crédibilité certains acteurs, y compris les scientifiques. « La question de la science dans l’urgence a été mise en évidence », avance le Pr Olivier Saint-Lary, jeune président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). Pour le PU-PH, l’injonction à réagir toujours plus rapidement aux multiples rebondissements de l’épidémie a « bousculé la temporalité de la science ». Or, celle-ci « a besoin de temps », analyse-t-il.

Pour le Pr Saint-Lary, les médecins ont ici un rôle majeur à jouer. Ils ont le devoir de faire le tri et de diffuser une information fiable. S’agissant des études cliniques par exemple, le praticien distingue trois types de lecture : « La littérature tertiaire qui est déjà "digérée", la secondaire qui fait des méta-analyses à partir de plusieurs articles et la primaire constituée par les articles scientifiques initiaux ». « Quand on est professionnel de santé, on ne peut pas faire l’économie de la littérature primaire », plaide le généraliste.

Pénétrer les réseaux sociaux

Combattre les fake news en santé est aussi une priorité de l’exécutif. Giovanna Marsico, déléguée au service public d’information en santé (SPIS, rattaché au ministère de la Santé), confirme que l’État se donne pour rôle de « garantir un accès équitable à l’information » de qualité. Avec le site Santé.fr lancé en 2017, le gouvernement entend « fournir un GPS » aux citoyens en leur proposant une base « claire, fiable, transparente et accessible ». Il revendique aujourd’hui plus de « 450 000 contenus » issus de sources labellisées. Mais malgré le logo République française qui orne la bannière du site, rien n’est gagné. Il faut également pénétrer les réseaux sociaux, prône Giovanna Marsico. Pour cette avocate, le rôle des médecins est, là encore, primordial. « Les professionnels de santé présents sur les réseaux sociaux sont les premiers à pouvoir agir ».

Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin