Conflits d’intérêts : le Pr Philippe Even livre en pâture des noms de cardiologues

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Publié le 09/09/2015

Ça deviendrait presque une manie. Le Pr Philippe Even publie le 10 septembre « Corruptions et crédulité en médecine »*, un énième ouvrage dans lequel il dénonce les médicaments inutiles, voire dangereux (comme les statines qui ne servent à rien, selon lui), une industrie pharmaceutique cupide inventant des pathologies pour augmenter ses profits, des praticiens corrompus aux ordres de Big-pharma, des autorités de santé incompétentes... Toutes les habituelles obsessions du praticien retraité de 83 ans sont passées en revue. Seule nouveauté, si l’on peut dire : son complice et ami, le Pr Bernard Debré, ne cosigne pas ce nouvel opus alors qu’il avait travaillé sur les deux précédents, « le Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » et « la Vérité sur le cholestérol ».

« Putains académiques »

Dans son nouveau livre, Philippe Even analyse les liens d’intérêt de 38 praticiens spécialistes travaillant à l’AP-HP, à l’aune de critères qu’il a lui-même choisis : avoir signé plus de dix contrats personnels avec l’industrie, avoir publié plus de 1 000 articles, avoir publié moins de 150 articles comme auteur principal, que ces articles aient généré plus de 8 000 reprises, avoir été coauteur de plus de 10 recommandations, avoir été coauteur de plus de 15 études épidémiologiques à partir de registres de patients, pour ne citer que ceux-là. Péremptoire, Philippe Even décide que ces praticiens sont sous influence dès lors qu’ils remplissent trois de ces critères. Pourquoi trois ? Mystère, ce qui ne l’empêche pas de qualifier ces médecins de « putains académiques » et de « parrains, au sens sicilien du terme ».

Le pneumologue ne s’arrête d’ailleurs pas en si bon chemin, et publie la liste des cardiologues qui lui semblent le plus sous influence de l’industrie, selon ses propres critères.

Allégations diffamatoires selon la Société française de cardiologie

L’affaire n’est évidemment pas du goût de la Société française de cardiologie (SFC). Dans un communiqué, cette dernière alerte la population sur le « danger » que représente ce livre. Elle rappelle que les différentes classes thérapeutiques visées par Philippe Even « ont fait l’objet de démonstrations scientifiques incontestables », et que leur efficacité est reconnue par les agences de santé du monde entier. Pour la SFC, il serait « désastreux » que des patients interrompent leur traitement « sur la base des affabulations d’une personne retirée de l’activité médicale depuis vingt ans ».

Contacté par « le Quotidien », le Dr Serge Kownator, membre de la SFC, va encore plus loin. « On est en plein délire, les allégations du Pr Even sont diffamatoires à l’encontre de l’élite de la cardiologie française. Une fois que le contenu du livre aura été analysé, la SFC se réservera le droit de réagir. »


Le Pr Even démissionne de la présidence de l’Institut Necker


Le Pr Philippe Even a annoncé mardi 9 septembre au soir sa démission de la présidence de l’Institut Necker. À la fin du mois d’août, l’APM (Agence de presse médicale) avait révélé que cet institut, dirigé par le pneumologue à la retraite, gérait des crédits alloués par l’industrie pharmaceutique, et destinés à des chercheurs du public. Le Pr Even percevait un salaire modeste (880 euros par mois) à la tête de cet institut, mais avait toujours déclaré n’avoir aucun lien d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Dans un courrier adressé à des confrères, Philippe Even annonce qu’il démissionne « pour ne pas nuire aux possibilités de contractualisation des équipes de chercheurs avec l’industrie pharmaceutique ».
 

* « Corruptions et crédulité en médecine », éd. du Cherche-Midi, 590 p., 18,50 euros.
Henri de Saint Roman

Source : lequotidiendumedecin.fr