Du Mediator aux statines, en passant par le Lévothyrox… Alors que certains médicaments font régulièrement la Une du débat public, une partie des Français montre de « la défiance ou même de l’hostilité », vis-à-vis des produits pharmaceutiques, selon l’Académie de médecine. Une « minorité » - « active et bruyante sur les réseaux sociaux » - qui inquiète les académiciens.
Dans un rapport diffusé le 7 juin, l’Académie de médecine tente d’expliquer ce phénomène, après avoir auditionné une trentaine de personnalités médicales, universitaires, patients, labos et journalistes. Amplifiée par la crise la Covid, « la perception du risque médicamenteux par le public est instable, parfois peu rationnelle », indiquent les académiciens.
Médecine « naturelle »
Rappelant des évidences, le rapport tente de dresser les déterminants sociologiques qui poussent certains à surévaluer le risque des produits pharmaceutiques. Nos « mœurs » seraient, selon l’Académie, « imprégnées par l’idéologie de la préoccupation » et notre société aurait plus tendance « à accorder la primauté au risque, au détriment du bénéfice » dans l’appréciation d’une innovation technologique.
Aussi, les académiciens imputent la méfiance envers les médicaments à une valorisation « du naturel au détriment de l’artificiel » et au « succès des médecins douces ». Les produits à base de plantes « jouissent d’une image parfois plus gratifiante que les médicaments », ce qui entraîne un défaut d’observance, une modification des posologies ou de l’automédication. « Des malades atteints de cancer en viennent parfois à penser que ce sont les traitements qui les rendent malades et se tournent vers des thérapeutes alternatifs », rappelle le rapport qui recommande de former, dès l’école, les jeunes aux effets « préjudiciables à la santé du préjugé naturaliste ».
Relativiser l'expertise scientifique
La défiance vis-à-vis des médicaments peut également résulter du « relativisme culturel » de ses adeptes. En d’autres termes, avec « l’érosion de la confiance du public dans l’expertise scientifique », de plus en plus de citoyens auraient tendance à mettre sur un pied d’égalité « savoirs rationnels et savoirs empiriques », affirme l’Académie. Les auteurs du rapport ont un exemple tout trouvé pour illustrer cette affirmation : « de même qu’on parle aujourd’hui de "température ressentie" plutôt que de température réelle, il devient banal de parler du "savoir expérientiel" ou du "savoir profane" des personnes malades ».
Tenir compte du vécu des patients ? Une intention « louable », pour l’Académie de médecine, mais « de là à ériger la perception d’un risque en une connaissance, il y a un pas qu’on ne saurait franchir », ironise-t-elle, tout en se défendant de « disqualifier le discours des patients ».
Culture du risque
L’émergence de discours relativistes sur le médicament sur les réseaux sociaux et dans les médias joue comme « une caisse de résonance ». La perception du risque des médicaments « relève d’un processus cognitif approximatif qui colporte des données affectives et des biais subjectifs ou culturels », amplifié par les réseaux, selon l'Académie. Et de citer les messages d’alerte véhiculés « sous la forme d’une narration à forte charge émotionnelle, difficilement compatible avec la démarche prudente et réfléchie que nécessite la prise ou l’arrêt de médicaments (cf. statines ou le Lévothyrox) ». Autre exemple éculé : les algorithmes sur lesquels se fondent les réseaux sociaux enferment les patients dans des « bulles cognitives » et les orientent « vers des contenus cohérents avec leur historique de navigation, au risque de les enfermer dans leurs convictions ».
Pour pallier cet ensemble de biais cognitifs, les académiciens recommandent de mettre en place des cours d’esprit critique, d’histoire des sciences et de la médecine « dès le collège ». L’État doit « mettre en œuvre, sans tarder, une politique pédagogique ambitieuse destinée à améliorer la formation des plus jeunes à la culture du risque », invite le rapport. Plus globalement, l’Académie attend du prescripteur non pas « qu’il fasse part de sa perception toute personnelle des risques liés à un médicament » mais plutôt de sa « connaissance solide du produit et de ses effets prévisibles ».
Alors que la pandémie a vu « des experts autoproclamés avides de notoriété » se succéder sur les plateaux télé, les académiciens invitent enfin à l’humilité. Il faut « avoir l’honnêteté de dire parfois qu’on ne sait pas, la médecine comportant nombre de domaines d’incertitude en dehors des données validées par l’AMM ».
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