Procès du Mediator : un pharmacologue rémunéré 300 000 euros pour un contre-rapport juge « pénible » d'être vu comme un « vendu »

Publié le 31/01/2023

Crédit photo : Voisin/Phanie

Les experts de Servier, des « vendus » ? Au procès en appel du Mediator, un pharmacologue a jugé lundi « pénible » que les experts rémunérés comme lui par les laboratoires Servier soient présentés de cette façon, alors que les avocats des parties civiles ont remis en cause son objectivité.

Jean-Pol Tassin, pharmacologue et directeur de recherche émérite à l'Inserm, avait touché 300 000 euros pour la rédaction d'un contre-rapport d'expertise sur le Mediator, car celui établi en 2013 à la demande du juge d'instruction aurait présenté, selon la défense de Servier, des « biais majeurs ».

Lors du procès de première instance, achevé en mars 2021, certains médias « ont parlé essentiellement de la rémunération des experts, ça laisse supposer qu'on serait des vendus. Ce n’est pas dramatique, c'est juste un peu pénible », s'est ému Jean-Pol Tassin, provoquant des réactions dans la salle d'audience.

Rémunéré pour préparer sa déposition

Pour son témoignage en première instance, Jean-Pol Tassin a été payé « de l'ordre de 20 000 euros ». Il sera d'ailleurs également rémunéré pour sa venue devant la cour d'appel de Paris, où ce second procès-fleuve entame sa quatrième semaine. « Je n'ai pas été payé pour déposer devant (la cour), j'ai été payé pour préparer ma déposition », corrige le pharmacologue, âgé de 76 ans. « Combien ? », l'interroge Charles Joseph-Oudin, avocat de nombreuses parties civiles. « Je n'ai pas envoyé ma note d'honoraires », élude le pharmacologue.

Pendant près de quatre heures, le scientifique a répondu, souvent agacé, aux questions du président, des avocats des parties civiles et de l'accusation. Il assure « avoir fait son travail de la façon la plus consciencieuse possible » et « ne pense pas que l'argent du labo ait une influence sur son travail ». « Il me rend probablement plus sérieux. Compte tenu du fait qu'il y a de l'argent, je le fais de façon plus attentive », argumente le chercheur.

Le Mediator « n'est pas un anorexigène », persiste l'expert

À la barre, il déroule ses conclusions : le Mediator « n'a aucun rapport » avec les caractéristiques des amphétamines et ce « n'est pas un anorexigène », si l'on reprend notamment les critères de l'Agence européenne du médicament, qui considère qu'un médicament doit permettre une perte de poids de 10 % pour être classé dans cette catégorie.

Or le Mediator, mis sur le marché comme antidiabétique en 1976 mais indûment prescrit comme coupe-faim jusqu'à son interdiction en 2009, ne provoquait qu'une perte de poids très modeste, selon Servier.

« Il y a une différence entre ne pas avoir une indication parce qu'il ne correspond pas aux critères des agences du médicament et avoir un effet anorexigène, même faible, qui entraîne des effets défavorables », observe Martine Verdier, avocate de parties civiles. « Vous n’avez pas d’"effet anorexigène léger". Ou vous êtes un anorexigène ou vous ne l’êtes pas », persiste le scientifique.

« Co-facteurs »

Enfin, il assure que les atteintes cardiaques et pulmonaires de milliers de victimes sont principalement liées à des « co-facteurs », qui ont agi en « synergie » avec le benfluorex, et non au médicament lui-même. Les personnes touchées étaient plus souvent des fumeurs, sous antidépresseurs ou souffrant d'apnée du sommeil, trois facteurs qui entraînent une augmentation de la sérotonine dans le sang, une hormone qui peut être impliquée dans les atteintes des valves cardiaques, argumente le pharmacologue. Le Mediator, « c'est un produit toxique, c'est indiscutable », dit-il du bout des lèvres. Tout en maintenant son hypothèse des « co-facteurs ».

Un exposé qui révolte Fayza, partie civile de 61 ans : « Quand il explique ça, ça me fait mal. Chez nous, on ne fume pas ». « C'est l'argent qui parle », estime-t-elle à la sortie de l'audience. « Pour les gens qui sont morts, qui sont handicapés, il n'a pas honte ? ». Cette habitante de Seine-Saint-Denis a pris du Mediator pendant quatre ans sur les conseils de son médecin, parce qu'elle ne parvenait pas à perdre les kilos pris après ses grossesses. « J'ai perdu zéro gramme et aujourd'hui, j'ai des trous dans le cœur, je suis handicapée à 90 % », explique-t-elle.

Les laboratoires Servier et leur ancien directeur général, Jean-Philippe Seta, sont rejugés depuis le 9 janvier pour tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires, escroquerie et obtention d'indue de l'autorisation de mise sur le marché du Mediator.

Avec AFP

Source : lequotidiendumedecin.fr