L’ESC et les conflits d’intérêts

Un plaidoyer pour la transparence

Publié le 21/06/2012
Article réservé aux abonnés

COMMENT GÉRER au mieux les liens d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique et les associations médicales qui organisent des congrès ou mènent des actions de formation médicale continue (FMC) ? Comment assurer au mieux la transparence, désormais exigée dans le monde de la santé ? « Il s’agit là de questions importantes qui se posent dans tous les pays européens. Cette question, on le sait, est devenue très sensible en France, mais c’est aussi une préoccupation forte dans tous les pays d’Europe occidentale. En Europe de l’Est, ce thème est peut-être un peu moins présent mais cela va venir », constate le Pr Michel Komajda, président de la Société européenne de cardiologie (ESC).

En France, la loi sur le médicament, adoptée en décembre dernier, oblige à la transparence de tous les liens entre les industriels et les acteurs du monde de la santé : toutes les conventions doivent désormais être rendues publiques. « La prévention des conflits d’intérêts et la transparence des décisions sont les gages indispensables pour garantir la qualité des décisions prises », soulignait le ministère de la santé lors de l’adoption de la loi.

De son côté, le conseil d’administration de l’ESC a publié dans son journal, The European Heart Journal, un article (1) sur les relations entre les associations de professionnels de santé et l’industrie pharmaceutique. « Parmi les grandes sociétés européennes, l’ESC a été pionnière dans sa volonté d’entreprendre une clarification des relations avec nos partenaires que sont les industries de santé », rappelle le Pr Komajda, en précisant que cette démarche a été guidée par un double souci. « Nous avons d’abord souhaité, bien sûr, tenir compte de cette exigence de transparence qui émane aujourd’hui de nos décideurs et du public. Mais nous avons aussi voulu agir de manière pragmatique. Il est normal que le public soit informé des liens qui peuvent exister entre l’industrie et les professionnels de santé, en particulier quand ceux-ci sont amenés à délivrer une formation médicale continue (FMC). Mais il faut être conscient du fait qu’il n’existe aujourd’hui aucune alternative crédible en Europe au financement apporté par les laboratoires pour l’organisation de la FMC », souligne le président de l’ESC. « Actuellement, il n’y a pratiquement pas un seul pays où la FMC est prise en charge par le gouvernement. Et vu l’état des finances européennes, il est évident que cela n’est pas une piste vraiment d’actualité. La question est d’abord celle de la qualité de la formation. Aujourd’hui, les sommes dévolues par les autorités à la formation continue d’un médecin spécialiste en France atteignent un montant d’environ 100 euros. Comment voulez-vous assurer une formation continue convenable avec une telle somme ? », s’interroge le Pr Komajda.

Des garde-fous.

Selon lui, la solution passe par la mise en place d’un certain nombre de « garde-fous » visant à assurer l’indépendance de la communication scientifique faite par l’ESC. « Notre première règle est qu’aucun représentant de l’industrie ne peut participer à l’élaboration de nos programmes scientifiques. C’est une règle de bon sens qui devrait être appliquée par toutes les associations de professionnels de santé. Un autre garde-fou est le fait que le choix de chacun des thèmes et des communications que nous retenons n’est jamais fait par une seule personne mais par un groupe. Cela permet d’imposer la sagesse du groupe au sein duquel chacun connaît l’existence des liens d’intérêt des différents membres », indique le Pr Komajda, en précisant que le comité scientifique de l’ESC est composé de 80 personnes. « Pour l’élaboration de nos recommandations, les règles sont aussi très claires : chaque membre d’un comité doit déclarer ses conflits d’intérêts et toues ces informations sont mises en ligne au moment de la publication des recommandations ».

L’ESC a également décidé qu’à la rentrée, deux coordinateurs seraient nommés pour conduire ses recommandations. « Au moins l’un des deux ne devra avoir aucun lien d’intérêts dans le domaine concerné. Le deuxième pourra avoir des liens qu’il devra déclarer à ses collègues qui, si besoin, pourront lui demander de sortir de la salle au moment de la discussion sur tel ou tel point », explique le Pr Komajda, en ajoutant que l’ESC a aussi mis en place une politique de déclaration générale des liens d’intérêt de toute personne participant à une de ses activités. « Tout est cela est revu en interne et nous décidons ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas ».

Le Pr Komajda juge enfin irréaliste la proposition, faite par certains, de ne retenir comme expert que des médecins n’ayant aucun lien avec l’industrie. « Cela conduirait à des situations ubuesques. Il est normal que des gens pointus dans leur domaine aient des relations de travail avec l’industrie. Ce qu’il faut, c’est assurer une transparence la plus complète possible », estime-t-il.

D’après un entretien avec le Pr Michel Komajda, président de la Société européenne de cardiologie (ESC), institut de cardiologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.

(1) Eur Heart J 2012;33:666-674.

ANTOINE DALAT

Source : Bilan spécialistes