25 % des médecins ont déjà eu des idées suicidaires en raison de leur travail

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Publié le 05/12/2017
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Crédit photo : PHANIE

C'est une nouvelle enquête qui risque de faire du bruit dans la profession. Au cours de leur carrière, un quart des soignants (25 % des médecins et des pharmaciens, 26 % des infirmières) ont déjà eu des idées suicidaires en raison de leur travail, révèle une enquête* exclusive de l'association Soins aux professionnels de Santé (SPS) sur ce sujet tabou, qui sera présentée ce mercredi. 

« Nous voulons montrer que le suicide, sujet tabou dans la société, existe chez les professionnels de santé et en particulier chez les médecins. Le sondage le démontre », explique au « Quotidien » le Dr Éric Henry, président de l'association Soins aux professionnels de santé (SPS) et ancien patron du SML. 

Consacrée pour la première fois à la quantification du suicide (et non pas seulement à la souffrance ou à la vulnérabilité des soignants), cette étude avait pour objectif de « quantifier le nombre de suicides et de comportements suicidaires, ainsi que l'impact du suicide sur l'entourage du professionnel de santé »

Plutôt des hommes, libéraux exclusifs et ruraux

Parmi les 710 professionnels ayant répondu à l'enquête, 472 sont des médecins – dont 47 % libéraux exclusifs, 36 % hospitaliers et 17 % à exercice mixte. Le résultat est spectaculaire : un praticien sur quatre affirme avoir déjà eu lui-même « des idées suicidaires dont l'origine était toute ou en partie d'ordre professionnel ».

Même si ce chiffre ne recoupe évidemment pas un projet de suicide, et encore moins un passage à l'acte, le taux est suffisamment élevé pour alerter une nouvelle fois sur l'exposition particulièrement élevée du corps médical au suicide, déjà pointée par quelques études. En juin dernier, les jeunes internes avaient dévoilé les résultats édifiants d'une vaste enquête nationale sur les idées suicidaires chez les futurs médecins, avec ce même résultat : un futur médecin sur quatre a pensé au suicide. 

Quel est le « profil » de ce quart de praticiens installés ayant eu des pensées suicidaires ? Ils sont plus souvent des hommes (27 %), dans la tranche d'âge 20-45 ans (27 %), libéraux exclusifs (28 %) plutôt qu'hospitaliers (20 %) et surtout exerçant en zone rurale (39 %). « La surcharge de travail peut expliquer en partie les idées suicidaires », avance le Dr Éric Henry, président de l'association SPS.

Repli sur soi

Confrontées à des idées suicidaires, seuls 44 % des médecins reconnaissent en avoir parlé à quelqu'un, ce qui signifie que la majorité garde le silence. Quand il décide de communiquer, le praticien en détresse se tourne en priorité vers un membre de sa famille (52 %), un psychiatre en consultation (38 %), un confrère (35 %), un ami (31 %) ou un psychologue (15 %). 

Autre enseignement majeur : près d'un médecin sur deux (46 %) connaît autour de lui des confrères qui ont déjà fait une tentative de suicide, autre confirmation que le sujet est très présent. Chaque professionnel (médecin, pharmacien, infirmière) rapporte en moyenne 2,5 tentatives dans son entourage (et même 2,85 pour les médecins). Et « près d'une tentative sur deux a abouti au décès », souligne, catastrophé, le Dr Henry. Plus inquiétant encore, 29 % des médecins (36 % des infirmières) déclarent connaître « aujourd'hui » des confrères « à risque suicidaire » dans leur entourage (environ deux en moyenne…). 

Ces chiffres sont d'autant plus préoccupants que, pour tout professionnel de santé, le suicide d'un confrère a un impact sur son propre exercice. Cela altère la confiance du médecin en lui-même (dans 56 % des cas) et son implication dans le travail (67 %), l'organisation du travail (72 %) et même la qualité des soins (53 %). « Il faut affiner encore pour connaître le degré de cet impact », admet le Dr Henry. 

Sentinelle

Comment venir en aide à un confrère en détresse, à risque suicidaire ? Les médecins sondés ont classé leurs conseils : la consultation auprès d'un psychiatre est plébiscitée (72 %), devant le recours à une plateforme d'écoute téléphonique dédiée (47 %), la consultation d'un psychologue (43 %), du médecin traitant (46 %) et l'orientation vers un généraliste formé à la prise en charge des soignants (25 %).

Le Dr Henry veut croire qu'il y a désormais une meilleure connaissance des dispositifs d'aide aux praticiens en souffrance. « Il y a quelques années encore, aucun médecin n'aurait cité la plateforme d'écoute ou encore moins le psychologue », assure-t-il, plaidant en faveur de la structure d'écoute dédiée mise en place par l'association SPS. 

Pour l'association, cette enquête doit surtout permettre de réveiller les consciences. Il y a quelques jours, le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre des médecins, a signé une convention d'entraide avec la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) et le centre national de gestion (CNG, qui gère les carrières hospitalières) : les partenaires ont promis de leur côté un numéro d'appel unique dès 2018 pour tous les carabins et praticiens en souffrance.  

* Enquête menée (entre le 15 octobre et le 20 novembre) avec le concours de la société Karapace afin d'assurer un anonymat. Plus de 700 professionnels de santé (51 ans en moyenne) ont répondu au questionnaire. Support logistique par Exafield. 

Loan Tranthimy

Source : lequotidiendumedecin.fr