Allemagne : les défis du Dr Karl Lauterbach

Publié le 14/01/2022
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Outre-Rhin, le nouveau ministre social-démocrate pourrait revenir sur une spécificité de l'Allemagne, avec ses deux régimes, publics et privés, d'assurance maladie. Chez les blouses blanches, tout le monde n'applaudit pas des deux mains...

Dr Karl Lauterbach

Crédit photo : Thomas Ecke Berlin

Nommé ministre de la Santé dans le cadre de la coalition gouvernementale dite « feu tricolore » emmenée par Olaf Scholz, le médecin épidémiologiste Karl Lauterbach est depuis des années le spécialiste de la santé au sein du parti social démocrate, le SPD. Il a désormais la lourde tâche de concilier les exigences des « rouges » avec celles très environnementales des « verts » et celles, plus libérales et économiques des « jaunes », les libéraux du parti FDP.  

Au cours des 25 dernières années, ces trois partis ont d’ailleurs tous détenu au moins une fois le maroquin de la Santé, dans le cadre des coalitions successives menées par Gerhard Schröder puis Angela Merkel. Aucun des trois n’a laissé de souvenir impérissable aux médecins, aujourd’hui plutôt réservés face aux projets du nouveau ministre.

À l’image de tous ses prédécesseurs, quelle que fut leur étiquette, Karl Lauterbach ne devrait pas tolérer très longtemps la rechute sensible des finances de l’assurance maladie qui, après avoir engrangé les excédents de 2013 à 2018, a renoué avec les déficits en 2019, et que le Covid a bien sûr aggravés ensuite. Elle présente, pour l’année 2021, un « trou » estimé à 4 milliards d’euros : même si Karl Lauterbach doit d’abord vaincre la pandémie, face à laquelle il a toujours prôné des mesures beaucoup plus strictes que celles prises par son prédécesseur Jens Spahn, il s’attaquera vite à ce dossier pour ne pas laisser filer les déficits. Les médecins s’attendent à un important plan de rigueur, qui touchera avant tout, selon eux, le domaine des prescriptions et du médicament. Et ils se souviennent que les sociaux-démocrates n’y vont pas de main morte : en 2005 et 2006, la ministre SPD de la santé d’alors, Ulla Schmidt, avait, avec son programme d’économies, mis le corps médical libéral et hospitalier dans la rue pendant plusieurs semaines, avant d’être finalement obligée de lâcher un peu de lest.

Mais les défis financiers sont loin d’être aussi menaçants que le manque croissant de soignants, face à une population de plus en plus vieillissante. Pour le nouveau gouvernement, « attirer les jeunes vers les professions de santé » constitue une priorité absolue, encore plus au niveau des infirmières que des médecins. Même si le ministère promet d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine, ses efforts porteront d’abord sur le recrutement de soignants, surtout à l’hôpital.

Consensus et polémiques

Les médecins hospitaliers attendent avant tout du nouveau gouvernement de meilleures conditions de travail, pendant que les médecins libéraux réclament surtout un allègement de leurs tâches administratives et des contraintes qui, selon eux, les encadrent jusqu’à l’étouffement. Si le FDP les soutient sur ce plan, ils ont par contre peu à attendre du SPD, d’autant que Karl Lauterbach souhaite réaliser enfin son vieil objectif, la fusion des régimes publics et privés d’assurance maladie. Le sujet, très polémique, évoque un peu nos débats sur la « Grande Sécu » : le SPD plaide pour une assurance maladie publique pour tous, alors que les assurés peuvent choisir de s’affilier auprès d’une caisse publique ou privée. 85 % des patients dépendent d’une caisse publique, mais les caisses privées, souvent plus chères, offrent des prestations plus étendues et des honoraires plus attractifs pour les professionnels de santé qui soignent leurs patients. Largement favorables au système actuel, qui constitue pour eux une forme de « secteur II » toutefois liée au patient et non au praticien, les médecins s’inquiètent de son éventuelle disparition.  

Enfin, même s’ils ne détiennent pas la santé, les Verts ont leur opinion sur ce que devrait être une politique de santé verte, basée sur la prévention et les comportements favorables aux individus et au climat. Le nouveau ministre vert de l’agriculture souhaite faire évoluer l’alimentation souvent peu diététique de la population, mais se heurte déjà à de nombreuses oppositions. Et ce sont, dans tous les cas, les libéraux qui détiennent les clés des finances publiques.

Karl Lauterbach ne parviendra pas forcément à satisfaire les trois partis avec sa politique, mais peut au moins compter sur quelques consensus, à l’image de la dépénalisation du cannabis « récréatif », parallèlement à une utilisation plus large du cannabis thérapeutique, déjà prescriptible et partiellement remboursable depuis 2017.

Autre consensus qui, lui, soulage les médecins, l’abandon « jusqu’à nouvel ordre » de l’ordonnance électronique, qui devait entrer en vigueur en 2022 : les retards accumulés dans sa mise en place avaient fini par rendre la mesure irréalisable dans les délais prévus par le gouvernement précédent. Symbole de cet échec, présenté toutefois comme un « nouveau départ », les responsables du dossier au ministère, proches de l’ancien ministre Jens Spahn, ont déjà été poliment remerciés. Une tâche de plus pour le nouveau ministre donc, d’autant que le chancelier Olaf Scholz souhaite, pendant son mandat, faire rattraper à l’Allemagne le retard considérable qu’elle a pris en matière de technologies et services numériques par rapport à la plupart des autres pays européens, et qui dépasse largement le seul domaine de la santé.

Exergue : Pour le nouveau gouvernement, « attirer les jeunes vers les professions de santé » constitue une priorité absolue

Correspondance, Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin