Attendre ou agir aux seuils de l'épidémie ?

Publié le 26/03/2021
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Depuis le début, la réponse du gouvernement à la crise du Covid a été fonction de divers indicateurs censés renseigner sur la gravité de la situation. Mais sur quels critères sont donc assises les récentes mesures annoncées par les pouvoirs publics ? On peut vraiment s'interroger. Il serait temps de rationnaliser la prise de décision en s'accordant sur des critères objectifs.

Crédit photo : DR

Notre quotidien est rythmé par des seuils. Dans la vie de tous les jours, il y a la vitesse maximale autorisée sur route, ou la date limite de consommation ou d’utilisation optimale des denrées alimentaires, pour parler des plus courants. Ces seuils entraînent une éventuelle verbalisation pour l’un, ou une mise en garde sur la possible dégradation des qualités nutritionnelles pour l’autre. En médecine, les seuils sont également légion : diabète pour deux glycémies au-delà de 1,26 g/L, LDL cible, Hémoglobine… Ces seuils servent de point de repère et d’aide à la décision partagée de soin ou de surveillance avec nos patients. Ces seuils permettent également de fixer des limites à ne pas dépasser car faisant courir un risque pour la santé de nos patients. En réanimation, ces seuils sont parfois ceux qui déclenchent la mise en œuvre de soins plus importants, voire les soins de la « dernière chance ».

La science elle-même est cernée par les seuils, le plus connu étant celui du risque statistique dit alpha, mieux connu sous le vocable « petit p inférieur à 0,05 ». Ce seuil permet de dire si un effet constaté dans une étude est le fruit du hasard ou s’il existe bel et bien. Ce seuil conditionnera parfois l’utilisation ou non d’un traitement, d’un dispositif médical, ou d’une prise en charge médicale.

Si on s’en réfère à la définition du mot seuil, il s’agit de la « valeur à partir de laquelle quelque chose se produit ».

Depuis un an, nous avons ajouté à notre quotidien des seuils liés à l’épidémie de Covid-19. Nombre de ces seuils sont basés sur l’incidence, c’est-à-dire le nombre de cas positifs de Covid-19 rapportés à 100 000 habitants. Et nos gouvernants de fixer un premier seuil d’alerte à 50, dit seuil d’alerte. Au-delà du seuil d’incidence de 150 cas pour 100 000 habitants, on parle de seuil d’alerte renforcée. Celui-ci devient alerte maximale à 250 cas. Le taux d’occupation de certains services de réanimation dépasse parfois même les 100 %. Sans doute n’y a-t-il aucun seuil d’alerte à ce niveau ?

400 morts par jour

Mais quelle est la valeur d’un seuil fixé s’il déjoue la définition qui veut que quelque chose se produise une fois franchi ? Quel seuil nous fera changer notre façon de gérer l’épidémie ? Est-ce un seuil concernant le nombre de nouveaux cas journaliers positifs à la Covid-19 ? Nous avions vécu le deuxième confinement avec pour objectif de passer sous le nombre de 5 000 nouveaux cas par jour. Nous sommes désormais à plus de 30 000 cas en moyenne journalière. Est-ce un seuil du nombre de décès journalier qui changera la donne ? Nous avoisinons les 400 morts liés au coronavirus chaque jour, l’équivalent de deux Airbus A320 qu’on gommerait des radars tous les jours, et ce depuis plusieurs semaines désormais, sans que cela ne suscite un changement de braquet à la hauteur de la catastrophe.

Et les pouvoirs publics de décréter un nouveau confinement il y a quelques jours… mais quel en est le but ? Sur quels critères a été décidé ce nouvel opus hautement discutable de restriction des libertés ? Mais surtout sur quels critères nos gouvernants vont-ils décider de lever ces mêmes mesures ? Les seuils instaurés jadis et jamais suivi d’effet car n’étant pas la « valeur à partir de laquelle quelque chose se produit » retrouveront-ils un sens ? C’est en confinant sans préparer le déconfinement que les pouvoirs publics entraînent la lassitude de la population. C’est en n’indiquant pas clairement des objectifs et des seuils rassurants que nos compatriotes perdent patience et risquent de franchir leur propre seuil de tolérance aux gestes barrière et à l’absence de contacts sociaux dignes de ce nom. Le collectif « Du côté de la science » plaide depuis des mois pour des décisions basées sur des critères objectifs, vérifiables, infalsifiables, afin de mieux gérer cette épidémie et ses conséquences. Sans doute que ce collectif n’a pas encore atteint le seuil d’audibilité de nos gouvernants…

Mais en attendant, la Covid-19 progresse, se moquant éperdument de nos atermoiements et profitant de notre immobilisme pour progresser. Le virus ne connaît pas d’âge limite, pas de devise écrite sur l’entrée des bâtiments indiquant un seuil qui lui serait infranchissable. Il ne connaît aucun seuil. Il ne respecte rien ni personne, pour la bonne et simple raison qu’à l’inverse de nous, le virus n’est pas doté de capacités de réflexion. Et c’est pourtant bien lui qui nous pousse à laisser sur le seuil de notre porte notre vie sociale. Pour combien de temps encore ?

Exergue : C’est en n’indiquant pas clairement des objectifs et des seuils rassurants que nos compatriotes perdent patience et risque de franchir leur propre seuil de tolérance

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin