Avec l'équipe soignante du parc de loisirs vendéen

Dans les coulisses médicales du Puy du Fou

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Publié le 20/07/2017
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PUY DU FOU 1

PUY DU FOU 1
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

PUY DU FOU 3

PUY DU FOU 3
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

PUY DU FOU 2

PUY DU FOU 2
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Athlétique, le bouc brun bien taillé et les traits marqués, il entre dans le premier box de consultation et s'assied sans façon sur la table d'examen, l'habitude sans doute. « Je me suis pris une cruche sur la gueule », lance-t-il à Julien en tendant vers lui son arcade sourcilière au pansement rouge de sang.

Quelques minutes avant, à la même place, « Juju » l'infirmier de 23 ans écoutait un autre jeune homme blessé à la main gauche : « Quand je suis traîné par le cheval, déguisé en moine, je dois faire un demi-tour en l'air pour bien m'amortir. Hier, mon poignet est parti d'un côté et moi de l'autre. »

Le premier cascadeur s'en tirera avec une cicatrice de plus mais le second devra passer une radio aux Herbiers, à 15 km de là. Ce jeudi, il vivra le spectacle des Vikings en coulisses. Raisonnable, il accepte son sort. Le Dr Thierry Schaupp en est satisfait : « J'ai vu des mecs comme lui continuer à bosser avec une fracture de la clavicule. » 

Bienvenue dans les coulisses médicales du Puy du Fou. Fondé il y a tout juste 40 ans par Philippe de Villiers, le célèbre parc de loisirs du bocage vendéen accueille tous les jours d'avril à septembre de 5 000 à 25 000 spectateurs, fondus d'histoire de France ou amateurs de joutes médiévales. 

Show must go on

Il n'existe pas de DPC pour le combat à l'épée ou les coups de serres dans les lèvres. Polyvalent, aimant exercer son art sur des « trucs costauds », le Dr Schaupp consacre trois à cinq journées par mois au parc. Il ne travaille au Puy du Fou ni pour l'argent ni pour la gloire. « C'est pour le fun et l'ambiance, déclare le médecin pompier de 59 ans, salarié du parc depuis plus de 20 ans et qui a déjà « bien assez de boulot au cabinet ». Le généraliste a monté une maison de santé à Lys Haut Layon (Maine-et-Loire), à 60 km de là.

Au Puy du Fou, la qualité première d'un soignant est la discrétion. Show must go on, coûte que coûte. Pas de vague. Ce mercredi soir, la nuit tombée, on joue les Orgues de Feu sur l'étang. Plusieurs centaines de personnes – grands parents à casquette, enfants en tongs et adolescentes en minishort – s'entassent autour du point d'eau. Dans la pénombre, les secouristes sont statiques, silencieux, reliés entre eux par talkie-walkie. Leur sac à dos est bourré de matériel pour les premiers soins. À l’abri des regards, l'ambulance du parc (qui n'en sort jamais) elle aussi suréquipée et la golfette de l'équipe médicale stationnent à moins de cinquante mètres. Une quinzaine de défibrillateurs sont présents à des endroits stratégiques sur les 57 hectares. L'infirmerie possède trois box dont un transformé en salle de déchocage pour les prises en charges « un peu méchantes », dixit le Dr Schaupp. La politique du « au cas où » est reine au Puy du Fou. 

L'autonomie et la maturité des membres de l'équipe de soins, très jeune, sont saisissantes au regard des enjeux. « C'est comme si on travaillait dans la caserne d'une ville de 25 000 habitants, on peut être amenés à tout faire », relativise Éric, 23 ans, pompier et futur infirmier à la poignée de main ferme. Son souvenir le plus fort ? L'héliportage d'une fillette de neuf ans en détresse neurologique, qui s'en est sortie. Son collègue Gaëtan, 20 ans, pompier et étudiant en fac de sport à Angers, se remémore l'arrêt cardiaque d'une spectatrice, qui lui a écrit par la suite pour le remercier. En 2016, le parc déplore un seul décès par arrêt cardiaque sur place sur près de deux millions de visiteurs.

Les rares évacuations vers l'extérieur par la terre ou par les airs (le parc possède deux drop zones pour l'hélismur) sur les hôpitaux de Cholet, la Roche-sur-Yon ou le CHU d'Angers confirment l'indépendance médicale du Puy du Fou. Les urgences alentour ne croulent pas sous la pression. Pour cette saison, le parc a évacué 30 patients (via le 15) sur les 1 500 pris en charge à l'infirmerie (4 500 en 2016). L'agence régionale de santé (ARS) Pays de la Loire le confirme : en période estivale, le Puy du fou « n'est pas le sujet numéro un », contrairement aux urgences saturées de la côte atlantique. « Ils font tellement bien leur boulot qu'on ne voit aucun de leurs spectateurs à Cholet » [l'hôpital le plus proche, NDLR] sourit le Dr Pascal Duperray, directeur de l'accompagnement et des soins à l'ARS. Grosses crises d'épilepsie, d'asthme, infarctus du myocarde, dérèglement de pacemaker, traumatologie lourde… Les évacuations de 2016 réclament clairement une expertise médicale et un bloc opératoire que le Puy du Fou ne possède pas. Elles montrent aussi que le parc fait sa propre régulation, en parallèle à celle de l'offre de soins vendéenne.

Vrai-faux désert médical

Comment une si petite équipe soignante dotée d'un seul médecin généraliste par jour d'ouverture parvient-elle à couvrir les besoins et aléas de santé d'autant de spectateurs ? Interrogé sur la désertification médicale du Puy du Fou, le Dr Schaupp part d'un grand éclat de rire avant de mettre en avant la petite vingtaine de protocoles médicaux concoctés pour les infirmiers et les secouristes. Les premiers sont formés pour prendre en charge l'arrêt cardio-respiratoire, la douleur, la convulsion et la détresse respiratoire chez l'adulte. Les seconds peuvent administrer Spasfon et paracétamol en cas de douleurs légères. « Ces protocoles n'ont rien d'exceptionnel, on ne réinvente pas la médecine, veut rassurer le médecin. Ils permettent surtout à toute l'équipe de parler le même langage. »

Dans l'équipe de soins, beaucoup apprécient cette liberté d'action et la polyvalence de leur tâche. « On travaille comme dans un mini-hôpital, confirme Raphaël, infirmier de 27 ans, restaurateur puis placeur des spectateurs les étés précédents. Le travail est là, fluctuant et très divers. » Le jeune homme préfère le parc au secteur public hospitalier. L'engorgement des services jusqu'à la lie, il connaît. Sans colère mais avec un certain fataliste, il dénonce les « dépassements de compétences » constants pour les infirmiers hospitaliers et les responsabilités qu'on leur impose faute de médecins. Au Puy du Fou, la mise en place de protocoles pour sécuriser l'exercice restreint toute tentative de comparaison hâtive entre les deux mondes.

Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du médecin: 9597