Dépendance : le modèle italien des «badante» va-t-il s'essoufler ?

Publié le 25/03/2022
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Pour compenser le manque de maisons de retraite pour la plupart obsolètes et désorganisées en raison du manque de soignants et d’investissements ciblés de la part de l’État, l’Italie mise depuis plusieurs années sur les auxiliaires de vie à domicile. Généralement originaires des ex-républiques soviétiques notamment d’Ukraine et de Moldavie, ces femmes que l’on appelle ici les « badante », s’occupent des seniors en difficultés 24 heures sur 24.
Pour les personnes dépendantes, la Péninsule a jusque-là privilégié l'accompagnement à domicile

Pour les personnes dépendantes, la Péninsule a jusque-là privilégié l'accompagnement à domicile
Crédit photo : GARO/PHANIE

En France, on les appelle les auxiliaires de vie, en Italie, les "badante". Dans un pays où le concept de famille fait partie des valeurs traditionnelles, cette nouvelle catégorie d’aides-soignantes, originaires des pays de l’Est, est devenue une présence incontournable qui permet de maintenir les personnes âgées à domicile. Pour s’occuper jour et nuit de leurs patients, elles renoncent à tout - les enfants qu’elles laissent à la garde des grands-parents, leur mari — et se substituent à la famille et à l’État quasi absent dans la gestion au quotidien du quatrième âge.

Selon l’Institut national de prévoyance sociale (INPS), elles représentent aujourd’hui 43,7 % du nombre d’employés de maison au niveau national contre 23,3 % en 2007. Cet institut note aussi que deux « badante » sur trois ne sont pas déclarées. Selon une étude réalisée en 2018 par la Fondation Leone Moressa per Domina, leur apport permettrait à l’État italien d’économiser chaque année quelque 15 milliards d’euros, les frais de séjour d’un senior dans une maison de retraite médicalisée (RSA), s’élevant à 19 000 € par an. Une facture importante compte tenu de la qualité de soins et de vie insuffisante offerte par ces établissements qui manquent de tout. Notamment de soignants, de plus en plus d’infirmiers par exemple, préférant travailler en milieu hospitalier où le temps de travail est mieux organisé, les salaires plus généreux et les prospectives d’avancement professionnel nettement plus intéressantes.

Avec la pandémie, la situation s’est ultérieurement dégradée dans les RSA, le secteur public multipliant les concours de recrutement pour renforcer ses effectifs largement insuffisants. Résultat : plusieurs établissements sont désormais considérés à risque notamment dans le nord du pays.

Selon les derniers chiffres, l’Italie dispose actuellement de 265 000 lits (contre près de 600 000 dans l'Hexagone) disséminés dans les 4 629 RSA (à comparer aux 7 400 Ehpad françaises) dont 2 651 implantées dans le Nord, 668 au centre, 493 dans le Sud et 817 dans les îles de Sardaigne et Sicile. Trop peu pour un pays qui compte actuellement 2,9 millions de personnes âgées en perte d’autonomie. Et selon les prévisions, elles seront 5 millions d’ici à 2030. L’État italien et les régions détiennent 45 % du nombre total de RSA dont les standards varient selon les zones, 35 % appartiennent à des sociétés non lucratives et les 20 % restantes sont privées. Leur chiffre d’affaires annuel est proche des 10 milliards d’euros. Autre donnée intéressante : la Péninsule dispose seulement de 18 lits pour 1 000 habitants. Soit une moyenne nettement inférieure à celle de la plupart des pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) affirme l’Observatoire sur les RSA de l’université Cattaneo (Varese).

Investissements ciblés dans les résidences

« Attention, compte tenu du vieillissement de la population — les plus de 65 ans devant représenter un quart des Italiens en 2050 — et des changements économiques et sociaux importants au niveau des structures familiales, la pression sur les services risque d’augmenter rapidement » averti Antonio Sebastiano, directeur de l’Observatoire. La solution serait donc d’investir dans les RSA pour renforcer la capacité d’accueil car les familles italiennes n’ont pas toujours les moyens de recruter une « badante ». Même si leurs salaires ne dépassent pas la barre des 1 000 € par mois plus le 13e mois et trois semaines de congés payés et qu’elles ne sont pas toujours déclarées. Mais pour rehausser le niveau et le nombre de structures, l’État devrait s’engager dans une politique d’investissements ciblés et surtout, ponctuels. Il devrait aussi renforcer les contrôles ciblés pour éviter les dérives.

Pour ce faire, de nombreux experts ont préconisé de profiter du Plan national de relance et de résilience (Pnrr), le volet italien du plan de relance européen, pour puiser dans les caisses. Or c’est justement là que le bât blesse. Le gouvernement qui a décidé de privilégier l’assistance à domicile, a débloqué 3 milliards d’euros pour développer ce secteur. En revanche, l’enveloppe destinée aux RSA est mince — à peine 300 millions d’euros — et par ailleurs, aucune mesure n’est envisagée pour améliorer les standards de qualité en corrigeant les dysfonctionnements.

L’une des idées du gouvernement est d’augmenter le nombre de résidences autonomie. Une réflexion est également en cours sur l’habitat groupé pour les seniors autosuffisants, un secteur prometteur selon l’institut de recherches Nomisma compte tenu du vieillissement accéléré de la population du fait d’une natalité qui ne cesse de décliner. Une quinzaine de projets financés par les mairies et des associations proches des mouvances catholiques comme la communauté de Sant’Egidio, sont déjà en cours notamment dans les régions du nord et du centre.

Ariel F. Dumont

Source : Le Quotidien du médecin