Entretien

Dr Patrick Bouet (CNOM) : « Plus le gouvernement attend, plus le mécontentement sera fort  »

Publié le 11/12/2014
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LE QUOTIDIEN : Marisol Touraine a lâché du lest sur le service public hospitalier ou l’organisation territoriale de la santé. Est-ce suffisant pour désamorcer le conflit ?

DR PATRICK BOUET : Il faudrait beaucoup plus que quelques annonces pour que disparaisse la colère du monde de la santé. D’autant plus que ces annonces ne répondent pas au fond du problème ! Lors de notre congrès le 16 octobre, François Hollande avait pris des engagements clairs en faveur de la négociation. Mais cinq semaines après, il ne s’était rien passé. Tout ce temps perdu est regrettable, nous avons le sentiment que le gouvernement n’a pas pris la mesure de la situation. Ce retard dans la reprise des négociations oblige aujourd’hui le gouvernement à devoir faire des propositions beaucoup plus importantes que ce qu’il avait vraisemblablement prévu.

Compte tenu de l’exaspération, que faudrait-il faire aujourd’hui ?

Si on veut apaiser la situation, il faut réécrire le texte en profondeur. Cela ne pourra se faire que dans le cadre d’une concertation publique, avec un calendrier de travail très précis, le tout précédé d’un report clair du passage de la loi devant le Parlement. Ces annonces constitueraient un fait majeur qui manifesterait enfin la volonté d’ouverture du gouvernement et de travail avec l’ensemble des acteurs du monde de la santé. Même si Marisol Touraine est sur le début du chemin, on est loin de ce qui permettra à la crise de se désamorcer.

Plusieurs organisations exigent le retrait pur et simple du texte....

Que nos collègues des syndicats professionnels aient un niveau de revendication élevé, l’Ordre n’a pas compétence ni autorité pour en juger. Mais on comprend aisément qu’aujourd’hui, les syndicats estiment, tout comme l’Ordre, que le compte n’y est pas. Il n’y a jamais de risque à ouvrir une discussion, et tout le monde sait quels sont les points majeurs à renégocier.

Quels sont-ils ?

Pour l’Ordre, la territorialité, la démocratie sanitaire, la participation des professionnels et des usagers à la décision sont des points du texte qu’il faut complètement réécrire. J’ajoute que la ministre ne pourra pas recueillir l’assentiment des professionnels sans aborder la problématique de la mise en place du tiers payant. Là encore, il lui faut faire des propositions constructives, et discuter avec les professionnels.

Vous n’avez pas évoqué les délégations de tâches aux pharmaciens qui hérissent les médecins…

Si je devais citer ici tous les points à réécrire dans ce projet de loi ! La vaccination par les pharmaciens, les médecins n’en veulent pas, un certain nombre de pharmaciens n’en veulent pas non plus. Il semble qu’il n’y ait que le gouvernement qui en veuille ! Le médecin est au centre du parcours de soins, on ne peut modifier le contenu du métier sans concertation. Cette mesure doit faire l’objet d’une vraie discussion avec les professionnels.

Un conflit médical très dur se dessine pour la fin de l’année. Est-ce que vous le soutenez ?

Nous comprenons et soutenons le fait que les professionnels veuillent une amélioration du dispositif qui régit leur exercice. Il n’y a pas qu’eux ! Les usagers, les directeurs d’établissement, et d’autres acteurs du monde de la santé ont les mêmes souhaits.

À trop avoir voulu administrer la gestion de cette loi sans dialogue social, on se retrouve dans une situation où les mécontentements s’agrègent. Plus le gouvernement va attendre, plus le mécontentement sera important. Demain, les médecins de santé publique, les médecins de Sécurité sociale, les médecins de santé scolaire, les médecins du travail, jugeront peut-être opportun de rejoindre le mouvement.

On a déjà vécu ça entre 2000 et 2002 ! On a vu ce que l’attentisme a donné en matière de permanence des soins. On l’a aussi vécu en 1995/1996, on a vu à quoi pouvait mener le refus du dialogue social avec les médecins. L’expérience devrait servir, le gouvernement devrait faire des annonces fortes.

Un conseil à Marisol Touraine ?

Si j’ai un conseil à lui donner, ce serait d’appliquer au niveau national la démocratie sanitaire prévue dans les régions. Ce projet de loi ne peut que renforcer notre volonté de voir des contre-pouvoirs s’instaurer. La ministre peut encore agir en reportant ce texte et en ouvrant une vraie négociation. Ce sera la seule façon de dénouer cette crise de confiance.

Propos recueillis par Henri de Saint Roman

Source : Le Quotidien du Médecin: 9373