Entretien

Dr Patrick Pelloux (AMUF) : « La modernité des urgences, c’est d’accueillir tout le monde ! »

Publié le 07/09/2015
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

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LE QUOTIDIEN : Une controverse a éclaté sur le nombre de services d’urgences menacés de fermeture en raison d’une trop faible activité. Cette restructuration n’est-elle pas inévitable ?

Dr PATRICK PELLOUX : Mais la restructuration a déjà eu lieu ! Fermer de nouveaux services n’est pas la solution. Depuis le rapport Steg, en 1989, les différentes lois et réformes hospitalières ont conduit à maintenir seulement 650 structures d’accueil et de traitement des urgences… En moins de 30 ans, notre pays a été capable de moderniser son réseau. 650 services ouverts H24, ce n’est pas scandaleux, c’est une offre de soins minimum pour 65 millions d’habitants, un des pays qui a la plus grande surface de littoral, une puissance économique considérable… Cet égal accès aux urgences est inscrit dans le socle social. J’ajoute que, depuis le début de l’année, cela fait partie aussi de la fraternité républicaine.

Mais faut-il pour autant maintenir à tout prix les 10 % de services en sous-régime ?

Il est incontestable qu’il y a des services qui travaillent moins que les autres, une soixantaine font moins de 10 000 passages par an. Pour autant, ces petites structures rendent un service réel à la population. On ne peut pas d’un côté avoir un discours politique sur la proximité, le repeuplement des campagnes… et de l’autre casser un maillage qui fonctionne en supprimant encore davantage de services. Descendre en dessous du seuil actuel me semble impossible et même dangereux, avec 18 millions de passages annuels, une démographie médicale en berne, une absence de politique de soins primaires… En revanche, il est possible de mieux organiser les choses.

Justement, quelle lecture faites-vous du rapport « Grall » sur la territorialisation des urgences et la possible reconversion de petits services en centres de soins non programmés ?

Nous sommes pour la territorialisation, mais qu’est-ce que ça veut dire ? A mes yeux, cela signifie qu’on ne laisse plus un gros service d’urgences saturé sur un territoire de santé mais qu’on répartit l’accueil des malades et des équipes de soins sur plusieurs sites, avec des indemnités incitatives pour les praticiens. Il faut créer ces pôles territoriaux d’urgence, à l’instar de ce qui est déjà fait dans le Vaucluse, afin de maintenir les sites de proximité en lien avec le site de référence.

En revanche, je ne suis pas d’accord avec la création de centres de soins non programmés sans urgentiste car je récuse l’idée consistant à dire qu’il n’y a d’urgence que l’arrêt cardiaque ou le polytraumatisé… La modernité des urgences, c’est d’accueillir tout le monde ! Il n’y a pas de bobologie. Il faut traiter tout le monde avec une organisation moderne.

Que proposez-vous ?

Contrairement à ce qui est dit, je ne jette pas la pierre sur la médecine de ville, qui fait son boulot, même s’il y a sans doute eu une erreur politique majeure avec la fin de l’obligation de gardes. Les libéraux et le service public doivent coopérer davantage, comme dans la régulation médicale où le renfort des libéraux donne de très bons résultats.

Pour désengorger les urgences, le seul moyen c’est la politique de prévention tous azimuts : risques du travail, traumatologie, accidents domestiques, vieillissement...

Autre priorité : l’attractivité du métier pour fidéliser les urgentistes. Cela passe par l’application de l’accord extrêmement moderne de décembre 2014, un progrès social qui intéresse d’ailleurs les autres spécialités ! Cet accord ne dit pas qu’on rase gratis mais il permet de payer le travail effectif des urgentistes. Il limite le travail posté à 39 heures et identifie un temps forfaitisé pour les activités non cliniques. Cet accord doit être appliqué partout. Certains – dans les directions, les CME... – refusent le changement.

Faut-il créer une spécialité d’internat de médecine d’urgence ?

Non, la création d’une spécialité enferme les médecins dans un carcan. Le trésor de ce métier, c’est que des jeunes ou des vieux aient envie de venir faire de l’urgence, d’y rester un temps avant de passer à autre chose. La médecine d’urgence n’est pas là pour plaire à quelques dizaines de profs universitaires. Travaillons sur l’existant, avec des postes et des statuts enfin attractifs, une accélération de carrière, et non pas des CDD de trois mois comme premier emploi.

Martin Hirsch a-t-il raison de s’attaquer à la réforme du temps de travail à l’AP-HP ?

Oui, il faut réformer le temps de travail dans les hôpitaux parisiens mais la méthode Hirsch n’a pas été bonne. Il ne faut pas commencer par diminuer les acquis sociaux. J’ajoute que les salaires des infirmières et des agents sont beaucoup trop bas... Les accords de 2000 doivent être revus mais il ne sert à rien d’arc-bouter les personnels avec des annonces abruptes alors même que les conditions de travail se sont aggravées partout. Les partenaires doivent négocier ensemble la modernisation de l’hôpital, sinon l’économique va tout emporter.

Propos recueillis par Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du Médecin: 9430