[Exclusif] « Jusqu’au bout, nous avons cherché un accord » : Thomas Fatôme (Cnam) exprime ses regrets après l'échec des négociations

Par
Publié le 28/02/2023

Crédit photo : S.Toubon

Après l'échec des négos conventionnelles, le directeur de la Cnam, Thomas Fatôme, se confie ce mardi au « Quotidien ». Il défend sa stratégie (« l'Assurance-maladie a su être mobile », « nous avons enrichi la copie »), regrette le choix des syndicats de n'avoir pas saisi cette « opportunité » mais cible certaines revendications « extravagantes ». « Ce n’est pas en augmentant simplement la valeur de la lettre clé que l’on va, par miracle, améliorer la situation », explique-t-il aussi. « Nous sommes et nous restons les partenaires des médecins libéraux », assure-t-il alors que s'ouvre la voie du règlement arbitral.     

LE QUOTIDIEN : Après quatre mois de négociations conventionnelles, et un rejet puissant des syndicats médicaux, quel est votre sentiment ?

THOMAS FATÔME : Je regrette évidemment que les syndicats médicaux n’aient pas saisi l’opportunité de ce projet de convention. Jusqu’au bout nous avons cherché un accord. Nous avons eu plus de 90 heures de discussion pendant quatre mois, et j’ai le sentiment que l’Assurance-maladie a su faire évoluer ses propositions. Nous avons fait des propositions sur les revalorisations socles, sur les actes, sur les forfaits et les différents niveaux de consultation !

Force est de constater que – au-delà de certains syndicats qui ont affiché d’emblée la volonté de ne pas signer ou ont eu des revendications tarifaires complètement extravagantes – certains partenaires sont restés campés sur les mêmes positions du début à la fin. Ça ne facilite pas l’atteinte d’un compromis qui est le produit naturel de toute négociation.

Est-ce que ça n’a pas été une erreur de conditionner les revalorisations les plus significatives à une forme d’engagement territorial ?

On peut se demander aussi s’il fallait poser comme ligne rouge une revalorisation de l’acte de consultation de 20 %, qui représente pour cette seule mesure, 1,5 milliard d’euros… Notre objectif, qui est partagé par l’ensemble des professionnels de santé, est de faire face au défi de l’accès aux soins, alors qu’il y a moins de médecins et plus de patients.

Il faut améliorer l’accès aux soins tout en investissant dans l’attractivité de la médecine libérale, et cela passe par des revalorisations utiles. Car ce n’est pas en augmentant simplement la valeur de la lettre clé que l’on va, par miracle, améliorer la situation. C’est pour cela que nous avons proposé d’accompagner des évolutions d’organisation : plus d’assistants médicaux, plus d’exercice coordonné.

Vous avez mis sur la table 1,5 milliard de revalorisations, quels sont vos regrets ?

Notre projet reposait sur trois piliers. D'abord un pilier socle avec la revalorisation d’1,5 euro sur tous les actes cliniques, la majoration du forfait médecin traitant et l’introduction d'une consultation à 60 euros pour les patients en ALD qui n’ont plus de médecin traitant. Ces mesures socles représentent déjà environ 10 000 euros par médecin et par an. Puis, un deuxième pilier autour des différents niveaux de consultation, en lien avec l’engagement territorial. Et enfin un troisième bloc autour des aides démographiques et de l’assouplissement des conditions d’embauche d’assistants médicaux.

Honnêtement, mon principal regret est vis-à-vis des médecins qui exercent en désert médical – presque 20 % – qui ne pourront pas bénéficier de ces avancées conventionnelles. Car le cumul de ces aides et de ces revalorisations a été volontairement construit pour eux. Le but n’a jamais été de les faire travailler plus, car dans ces territoires, ils ont quasi systématiquement des patientèles très importantes.

Dans le contexte politique, estimez-vous avoir pu négocier librement ?

Le mandat de ces négociations a été clairement établi par les lignes directrices des ministres et les orientations du conseil de l’Uncam. Pendant toutes les négociations, l’Assurance-maladie a su être mobile. Par exemple, quand les spécialistes nous ont fait part d’un manque sur les aides démographiques, nous avons enrichi la copie ! Quand les généralistes nous ont demandé de ne pas uniquement nous centrer sur les actes mais aussi sur les forfaits, nous avons adapté à nouveau la copie.

Que pensez-vous des menaces de déconventionnement brandies par certains syndicats ?

J’ai la conviction profonde que les médecins libéraux de ce pays sont très attachés à un système d’assurance-maladie qui permet à tous les patients de se soigner, quels que soient leurs revenus. Ils ne veulent pas d’un système qui fait reposer l’accès aux soins sur les moyens financiers du patient ou sur son contrat de complémentaire santé. Le déconventionnement, ce n’est pas un choix de liberté. C’est un choix qui restreint l’accès aux soins et qui est contraire aux fondamentaux de notre système de santé.

La rédaction du règlement arbitral va être lancée. Souhaitez-vous relancer les discussions rapidement ?

Le mécanisme va désormais se mettre en place. Il y a une arbitre indépendante, Annick Morel, qui va auditionner toutes les parties prenantes : l’Assurance-maladie, les syndicats, les organismes complémentaires d'assurance-maladie. Nous continuons à croire en la force du dialogue conventionnel. Nous n’avons pas pu signer avec les médecins, mais nous avons signé avec les biologistes il y a quelques mois, avec les pharmaciens l’année dernière. Je crois à l’intérêt du dialogue social.

Nous sommes et nous restons les partenaires des médecins libéraux. C’est toujours le cas, et nous ne changerons pas notre philosophie. Tous les jours, ils accueillent deux millions de patients en cabinet et je reste convaincu de l’importance de la médecine libérale et de la force de notre partenariat.


Source : lequotidiendumedecin.fr