Alors que la concertation sur les carrières hospitalières est au point mort et que la négociation entre l'Assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux a abouti à un échec, François Braun entend relancer la machine en pesant fortement dans les discussions. « Que ce soit pour l’hôpital et la ville, la médecine et les paramédicaux, nous sommes sortis de l’ornière et nous allons commencer à mettre la marche avant », plaide-t-il.
Face aux critiques, il défend, dans un entretien au « Quotidien », son bilan et sa méthode depuis un an et se montre même « optimiste pour les mois qui viennent ». À l'heure où la proposition de loi Valletoux inquiète fortement la médecine libérale, il réaffirme clairement son opposition à la contrainte à l'installation mais critique « l'impasse » du déconventionnement.
LE QUOTIDIEN : L'hôpital public vit une crise sans précédent avec 30 % des postes de PH vacants. Où en sont les concertations sur l'attractivité des carrières médicales à l'hôpital ? Sont-elles au point mort ?
FRANÇOIS BRAUN : Les recommandations de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui me seront remises prochainement permettront de cadrer les discussions qui auront lieu dans les prochaines semaines. Dans l’attente, nous avons agi. En juillet dernier, j'ai multiplié par 1,5 la rémunération de la permanence des soins médicale, mesure prolongée jusqu’à l’entrée en vigueur d’un nouveau cadre pérenne. Pour redonner de l'attractivité, j'ai aussi permis la majoration de la prime de solidarité territoriale (PST) qui valorise l’implication des PH au-delà des obligations de service, à des tarifs supérieurs à ceux de l’intérim dont la rémunération a également été plafonnée. Cette lutte a permis de faire revenir de premiers médecins vers l'hôpital.
Aussi, et comme pour tous les professionnels de santé, la question de l'attractivité du métier n'est pas uniquement liée à la rémunération. L'enjeu porte d'abord sur les conditions d'exercice. Comment redonner du sens au travail en améliorant leur quotidien ? Comment faire en sorte que le médecin du service soit davantage au cœur des décisions ou adapter les horaires en fonction des besoins, y compris pour le personnel infirmier ? Tout cela est au cœur de cette rénovation du fonctionnement de l'hôpital, avec une réflexion à poursuivre sur l'attractivité de l'hôpital.
Justement, comment comptez-vous résoudre l'inéquité dans la progression de carrière entre les PH nommés depuis 2020 et les plus anciens et rattraper l'écart de quatre échelons. Allez-vous modifier la grille indiciaire ?
Depuis 2017, les efforts pour revaloriser les carrières sont sans précédent ! Avec le Ségur, ce sont 450 millions d’euros par an qui sont investis, notamment pour réévaluer les carrières et les rémunérations de 100 000 médecins hospitaliers. Les organisations syndicales portent, depuis longtemps, des revendications pour la situation spécifique des PH de milieu de carrière. J’entends bien entendu leurs attentes qui s’inscrivent dans le mouvement que le gouvernement construit depuis plusieurs mois en faveur de l’attractivité des carrières hospitalières publiques. En la matière, je souhaite porter une approche globale en lien étroit avec les représentants des professionnels.
Dans l'attente du rapport de la Pr Catherine Uzan, êtes-vous favorable à une réforme de fond de la retraite des hospitalo-universitaires ?
Là aussi, c'est un vieux serpent de mer et j’ai souhaité confier ce travail au Pr Catherine Uzan pour que nous avancions. Mais je ne vais pas vous donner ma décision avant de prendre connaissance de ses conclusions. À côté de cela, j'ai pris aussi des mesures pour favoriser le cumul emploi retraite.
Vous avez aussi missionné le Pr Claris au sujet de la gouvernance de l'hôpital. Comment doit fonctionner le tandem directeur/président de CME ?
Ce rapport doit être rendu prochainement. Déjà, il y a des réflexions intéressantes notamment sur l'application effective des recommandations du premier rapport Claris. Car aujourd'hui ce n'est pas le cas, et je veillerai à ce que les agences régionales de santé puissent s’investir pour garantir partout le déploiement effectif de ce qui est déjà possible dans notre droit.
Dans la contractualisation entre le directeur de l'hôpital et le président de CME, il faudrait déjà bien préciser qui fait quoi, qui est responsable de quoi, et comment les enjeux d’organisation et de revitalisation des services sont bien pris en main. Il y a aussi une réflexion autour des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et le besoin d'avoir un médecin identifié faisant l'interface entre les hôpitaux, la médecine libérale et les cliniques. Nous sommes dans des sujets concrets.
Il y a un an, la mission flash dont vous étiez l'auteur a donné lieu à des mesures d'urgence pour passer l'été. Finalement, aucune mesure pour l'hôpital n'a été pérennisée. Quand les gardes et astreintes seront-elles enfin revalorisées et la permanence des soins hospitaliers réformée ?
Les mesures de la mission n’ont pas été suspendues et la quasi-totalité ont été prolongées à l’issue de l’évaluation de leur impact que la Première ministre m’avait demandé de réaliser. Pour ce qui concerne l'organisation et la reconnaissance de la permanence des soins en établissements de santé (PDS-ES), dont je mesure tout à la fois l’importance pour nos concitoyens et les difficultés spécifiques rencontrées sur nos territoires, j'attends les conclusions de l'Igas pour réformer en profondeur le mode de fonctionnement et adapter la rémunération en conséquence des évolutions.
Je souhaite que cette organisation soit partagée à l'échelle d'un territoire entre le public et le privé, à l’initiative des acteurs prioritairement. Ces évolutions seront à l’agenda des prochaines semaines.
Êtes-vous inquiet pour l'été prochain ?
Une instruction va être adressée aux ARS et aux établissements de santé leur demandant de mettre en place, avant juillet, une gestion territoriale des lits pour l'aval des urgences. Cette mesure sera intégrée dans le décret sur les autorisations des services d'urgences qui va être publié prochainement. Qu'est-ce que cela veut dire ? À l'échelle de chaque territoire, je souhaite qu'il y ait une organisation de la gestion d'aval des lits pour qu'on puisse connaître le nombre de lits disponibles, chaque jour, pour les patients pris en charge en urgence.
C'est possible car l'activité des urgences est stable donc paradoxalement prévisible. Certains établissements comme le CHU de Poitiers ont déjà mis en place une telle organisation. En s'appuyant sur le SAS local, le dispositif d'appui à la coordination (DAC) pour les pathologies chroniques et la gestion des lits en aval des urgences à l'échelle du territoire, l'hôpital dispose d'une filière fluide. C'est ce modèle-là que je veux partout et c'est accessible
Qu'avez-vous prévu pour l'été pour lutter contre l'engorgement des urgences ?
La campagne d'information pour inciter les Français à appeler le Samu (15) avant de se rendre aux urgences va s'intensifier. En parallèle, nous accélérons le déploiement des services d'accès aux soins (SAS). Une mission a été lancée pour savoir où sont les problèmes et comment soutenir les projets qui peinent à se concrétiser. Plusieurs SAS doivent ouvrir d’ici à l’été.
Nous avons aussi débuté une campagne de recrutement des assistants de régulation médicale qui sont valorisés et désormais reconnus comme professionnels de santé. Tout cela avance à un rythme normal. Depuis l'été dernier, nous constatons une baisse de la fréquentation aux urgences de l'ordre 5 %. Mais nous ne pourrons pas atteindre l'objectif qu'a fixé le président de la République de désengorger tous les services d'urgences d'ici à la fin 2024, sans la mobilisation des médecins libéraux, dont je connais l’engagement partout sur le territoire. Pour cet été, je vais leur demander le même investissement que l'année dernière et je sais qu'ils vont le maintenir.
Du côté de la médecine libérale justement, les négociations conventionnelles ont échoué et abouti à un règlement arbitral qui ne convient pas aux syndicats. Quand doivent-elles reprendre ?
Le règlement arbitral porte des améliorations importantes, comme la pérennisation de la majoration de 15 euros pour les soins non programmés. Ce règlement arbitral représente un effort financier très important de la collectivité pour accompagner l’engagement des médecins libéraux. Pour autant, je ne me satisfais pas non plus que l’on s’arrête au règlement arbitral, je l’ai dit clairement.
Je regrette que la Cnam et les médecins libéraux n’aient pas pu trouver un accord, mais j’ai confiance dans la capacité des partenaires conventionnels de retrouver la voie du dialogue sur des principes clairs de méthode, un agenda partagé et une vision commune à la fois de l’évolution des attentes des médecins mais aussi des besoins de santé de la population.
Je continue à discuter avec les syndicats, je ne leur ai jamais fermé la porte. Le travail préparatoire à de nouvelles négociations devra aborder toutes les questions. Comment mieux répondre aux besoins de la population ? Comment s’organiser entre professionnels – même si nous avons avancé avec la PPL Rist ? Comment mieux aider les professionnels qui sont face à des besoins de santé très importants ? Quand nous rouvrirons les négociations, il faut que nous en sortions avec un accord. Je lancerai donc la réouverture officielle des négociations quand un accord aura pu être trouvé sur les grands axes et sur la méthode. Je suis confiant car les discussions n’ont jamais cessé avec les syndicats.
Le cadrage, l’enveloppe et le négociateur seront-ils les mêmes ?
Les objectifs sont les mêmes. Peut-être aurons-nous une façon différente d’y aller. Je maintiens bien sûr ma confiance à Thomas Fatôme, le directeur de la Cnam, pour mener ces négociations. Et arrêtons de raisonner en termes d’enveloppe. Avec le règlement arbitral, nous avons déjà investi près de 700 millions d’euros ! J’ai été très clair auprès des syndicats : je leur dirai clairement quelle enveloppe j’ai à mettre sur la table et nous négocierons sur la façon dont elle sera répartie.
Plus de 2 000 médecins libéraux ont déjà signé une lettre d'intention de déconventionnement et d'autres facturent la consultation à 30 euros en signe de guérilla tarifaire. Craignez-vous ce mouvement ?
Je pense que la majorité des médecins sont très attachés au système conventionnel. Le déconventionnement auquel certains appellent est une impasse, pour les médecins comme pour nos concitoyens, même si c’est bien entendu leur liberté de vouloir se déconventionner. Mais il va falloir que nos concitoyens comprennent bien qu’avec un médecin déconventionné, ils ne seront remboursés de rien ! Tandis que ces derniers n’auront plus tous les forfaits de l’Assurance-maladie, la prise en charge d’une partie de ses cotisations sociales… Il faut en avoir conscience. Se déconventionner n’est pas un mouvement d’humeur, c’est aussi assumer pleinement qu’on crée une médecine à deux vitesses.
Mais entendez-vous le désarroi des libéraux ?
J'entends la crise vécue par les médecins libéraux, le désarroi… Je les rencontre, je les écoute, je leur explique. Alors qu’il y a des menaces sur la liberté d’installation, je me suis clairement positionné pour dire que j’étais contre les contraintes à l’installation. C’est en leur faisant confiance qu’on résoudra la crise actuelle.
Vous avez été nommé au ministère il y a près d'un an. Si c'était à refaire, vous le referiez ?
Oui sans hésiter ! Que ce soit pour l’hôpital et la ville, la médecine et les paramédicaux, nous sommes sortis de l’ornière et nous allons commencer à mettre la marche avant. Je suis plutôt optimiste pour les mois qui viennent. Mais ça, je ne le ferai qu’avec les professionnels.
Face à la hausse des violences contre les médecins, la fermeté du ministre
Alors que l'Ordre a recensé un record historique d'incidents déclarés par les médecins, avec 1 244 agressions en 2022, le ministre François Braun défend la tolérance zéro. « Je m'inquiète d’une banalisation de la violence verbale et gestuelle, explique l'urgentiste. Proférer des injures, montrer le poing à une infirmière, ce sont des actes de violence. Tout acte de violence doit être condamné. Il faut communiquer auprès des professionnels, en réexpliquant que ce n'est pas acceptable, qu’il faut déclarer. » François Braun entend ensuite « sensibiliser les patients » mais pointe aussi les « irritants du quotidien » pour les blouses blanches. « Le fait d’attendre deux mois et faire 25 bordereaux pour pouvoir réparer une serrure à code, ce n’est pas normal. Ce sont des choses sur lesquelles il faut agir tout de suite. » Le ministre a demandé un audit immédiat, avant fin juin, de tous les établissements, pour vérifier leurs mesures de sécurisation.
Retrouvez l'intégralité de notre interview dans l'édition du « Quotidien » de ce vendredi 9 juin.