Immunothérapie dans les cancers ORL

Gare au phénomène d'hyperprogression tumorale 

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Publié le 09/05/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« L'immunothérapie dans les cancers, c'est le meilleur et le pire », avertit le Pr Christophe Le Tourneau, oncologue à l'institut Curie et auteur principal d'une étude sur l'hyperprogression tumorale induite par des inhibiteurs de PD1/PDL1 dans les cancers ORL.

« Environ 10-20 % des patients répondent très bien et très longtemps, tous types de cancers confondus, poursuit-il. Mais, à l'inverse, 10 à 30 % des patients vont avoir une accélération de la croissance tumorale. Et dans les 60 % de cas restants, il ne se passe pas grand-chose. Il devient urgent de pouvoir identifier les patients répondeurs et ceux qui vont hyperprogresser ».

L'hyperprogression est « fulgurante », décrit l'oncologue. Dans l'étude, les chercheurs français ont choisi un critère exigeant pour la définir : un doublement de la tumeur, ce qui correspond à une cinétique multipliée par 8 en 3 dimensions. « On n'a jamais observé d'effet accélérateur avec les traitements ciblés et la chimiothérapie », rappelle le Pr Le Tourneau.

L'étude rétrospective française publiée dans « Annals of Oncology » et menée dans 4 centre français de référence (Institut Curie, Institut Gustave Roussy, centre Léon Bérard à Lyon et centre Antoine Lacassagne à Nice) révèle chez 34 patients traités dans le cadre d'essais cliniques que 30 % des cancers ORL traités par inhibiteurs de PD1/PDL1 vont présenter une hyperprogression tumorale avec mauvais pronostic associé.

La clinique sonne l'alarme

Une publication récente (2016) de l'Institut Gustave Roussy dans « Clinical Cancer Research » avait préalablement rapporté l'existence de ce phénomène d'accélération dans 9 % des cas tous cancers confondus. « Essentiellement dans le mélanome et le cancer du poumon, les deux indications phares des inhibiteurs de PD1/PDL1 », précise le Pr Le Tourneau.

« Dans notre étude en ORL, le phénomène était même observé chez 40 % des patients ayant une récidive locorégionale en territoire irradié, quand il ne l'était que chez 9 % des patients ayant des métastases à distance, souligne-t-il. Or près de deux tiers des patients ayant un cancer ORL vont présenter une récidive en territoire irradié ».

L'équipe de l'Institut Curie a d'ores et déjà modifié la prise en charge des cancers ORL traités par immunothérapie. « Dès la moindre suspicion clinique d'hyperprogression et avant même l'imagerie, on se pose et on arrête le traitement, explique le Pr Le Tourneau. Ce sont des signes locaux, tels que le volume tumoral visible mais surtout la douleur et le fait de ne plus arriver à manger ».

La pseudo-progression, une exception

Aucun cas de pseudo-progression n'a été constaté dans l'étude. « Ce concept d'augmentation transitoire de la tumeur en raison d'une réaction inflammatoire avant diminution a été survendu, estime l'oncologue. C'est vrai, il existe quelques cas de pseudo-progression, mais cela reste l'exception. C'est plus fréquent dans les mélanomes, à raison de 10-15 %, ce qui signifie que même dans ces cancers, il s'agit d'une vraie progression dans 85 à 90 % des cas ! ».

La leçon à tirer est « qu'en cas d'augmentation tumorale, il faut savoir arrêter précocement un traitement et diriger le patient vers autre chose, sauf argument fort comme une amélioration de l'état général ou une diminution des douleurs », considère le Pr Le Tourneau.

Aujourd'hui, il n'y a pas encore d'explications claires au phénomène, seulement des hypothèses. « On sait que le système immunitaire peut avoir un rôle double, freinateur ou accélérateur des tumeurs, explique Christophe Le Tourneau. Il est possible que certains marqueurs inversent la balance entre les deux. Autre hypothèse, le territoire irradié devient fibrosé, créant un obstacle mécanique » pour les cellules immunitaires. Une étude prospective avec le soutien d'UNICANCER va débuter pour mieux comprendre le phénomène et identifier des biomarqueurs de progression. 

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9579