Gérer l'incertitude n'est pas naviguer à vue

Publié le 23/04/2021
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La crise du Covid obéit à de nombreux aléas et son évolution demeure depuis le début largement imprévisible. Mais ce n'est pas une raison pour improviser. À l’instar de trop nombreuses décisions ou déclarations avancées par les décideurs ces dernières semaines.

Crédit photo : DR

Certaines métropoles françaises vivent des restrictions de liberté depuis désormais 6 mois. Pour un effet sur la progression de l’épidémie très discutable. Cette pandémie depuis plus d’un an désormais devrait inciter à l’humilité de tous, scientifiques ou politiques, tant son évolution reste imprévisible.

Le métier de soignant force à gérer l’incertitude. En médecine générale par exemple, prendre une décision médicale en situation d’incertitude fait partie des compétences incontournables. Un patient se présentant en cabinet de ville avec une douleur thoracique sera pris en charge, même sans avoir un électrocardiogramme dans la minute qui suit ou un cycle de troponine, comme cela serait le cas en milieu hospitalier grâce au plateau technique présent. Toutefois, les études montrent que, bien qu’en situation d’incertitude, la décision de traitement est d’emblée la bonne dans plus de 80 % des cas, les 20 % restants devant faire l’objet d’examens complémentaires étant de nature à faire disparaître sans l’ombre d’un doute cette incertitude. Mais il ne faut pas confondre gestion de l’incertitude et naviguer à vue.

Pari sur l'avenir

Gérer l’incertitude dans le secteur de la santé, c’est prendre des décisions conformément aux données de la science, aux préférences du patient et aux habitudes du soignant. C’est donc avoir une démarche Evidence Based Medicine. C’est tout sauf prendre une décision au hasard, par seule conviction personnelle. C’est choisir un traitement par exemple, en se disant que toutes les informations disponibles et fiables convergent pour dire qu’il sera le meilleur pour le patient, en espérant que le succès soit au rendez-vous. C’est agir en tenant compte des probabilités de réussite, de la connaissance que l’on a des pathologies et des traitements, faire une sorte de pari sur l’avenir, en minimisant au maximum le risque de se tromper. C’est tout sauf un coup de bluff ou de poker, mais bel et bien une démarche scientifique cadrée.

Depuis plus d’un an, nous sommes baignés par l’incertitude. Incertitude d’une épidémie qui n’était qu’en Asie et, je cite, « tuait trois chinois » en faisant une alerte mondiale. Incertitude d’une épidémie qui n’avait aucun risque d’arriver chez nous. D’une épidémie qui, je cite encore, allait faire moins de morts que les accidents de trottinette. D’une épidémie qui nous demandait de tenir bon encore 4 à 6 semaines… il y a 7 semaines désormais. L’incertitude est présente, mais sa gestion n’a rien de scientifique. Les épidémiologistes établissent des scénarios prédictifs en tenant compte de nombreux éléments incertains pour les semaines à venir. Ils sont au mieux taxés d’alarmisme, au pire totalement ignorés par ceux qui doivent prendre les décisions qui s’appliqueront à l’ensemble de la population. La situation exigerait de préserver au mieux nos concitoyens tout en réduisant au maximum l’impact sur l’économie, comme cela semble être le cas dans des pays comme Israël ou le Royaume-Uni.

Gérer l’incertitude, ce n’est pas communiquer à tout va, pour tenter d’endormir l’opinion publique à coups de phrases courantes et creuses indiquant que nous n’oublierons jamais aucun nom ou aucun visage, et que nous préparons le monde d’après et un retour à la vie normale à partir du mois prochain.

Gérer l’incertitude, ce n’est pas dire qu’au Royaume-Uni tous les commerces peuvent de nouveau ouvrir et que nous devons, de ce fait, en faire de même, en occultant les efforts qu’ils ont dû faire de leur côté pour en arriver à ce niveau.

Gérer l’incertitude, c’est gérer les passagers arrivant de pays où de nouveaux variants circulent en leur imposant des règles strictes d’emblée, et pas sous la pression de l’opinion publique face à l’incompréhension d’un immobilisme français qu’aucun pays ne nous envie.

Gérer l’incertitude, ce serait prendre en compte ce qui a fonctionné dans les autres pays comparables au nôtre, écouter les épidémiologistes et tenter, en prenant des mesures teintées de bon sens sanitaire, de les faire mentir après coup. Car quand on arrive à faire mentir un épidémiologiste, quand ses prédictions s’avèrent ultérieurement fausses, c’est qu’on aura pris la ou les décisions qui auront permis d’infléchir le scénario du pire. S’il y avait un coup de poker à faire, ce serait de tout faire pour que la situation soit toujours meilleure que celle prédite. Prendre les décisions qui s’imposent en situation d’incertitude, plutôt que de naviguer à vue…

Exergue : Quand on arrive à faire mentir un épidémiologiste, c’est qu’on a pris la ou les décisions qui auront permis d’infléchir le scénario du pire

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin