Hôpital « bureaucratique », échec des négos « une bonne nouvelle », nomenclatures « toujours en retard » : les vérités de l'économiste Jean de Kervasdoué

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Publié le 03/03/2023
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Crédit photo : S.Toubon

« Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ! » Invité du café nile, à Paris, Jean de Kervasdoué a cité Sénèque, persuadé que notre système de santé est « pris dans la tempête » mais incapable de se fixer un cap. L’économiste de la santé avance ses propres solutions « simples » pour réformer la médecine de ville et l’hôpital, dans son dernier ouvrage : « La santé à vif » (humenSciences, février 2023).

À rebours de nombre d'observateurs, le professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers considère par exemple que l’échec des négociations conventionnelles est « une très bonne nouvelle », qui pourrait amorcer une reconstruction de la médecine libérale sur d'autres bases. Selon lui, il est surtout urgent de sortir du paiement à l'acte quasi exclusif pour développer le « système de la capitation » (rémunération forfaitaire allouée au médecin qui, en contrepartie, s'engage à prendre en charge un patient pendant une période définie), ce qui permettrait « d’augmenter la rémunération des médecins », notamment généralistes. Très peu probable que cette piste forfaitaire soit la voie souhaitée par les syndicats de praticiens libéraux qui ont rejeté le projet de convention… 

Revoir les nomenclatures

Mais pour Jean de Kervasdoué, il serait possible « d'augmenter de 30 % à 40 % le revenu annuel des médecins en passant à la capitation car on sait que cela baissera les actes de biologie, les examens d’imagerie voire quelques prescriptions médicamenteuses. » C'est le système principal de financement pour les cabinets de médecine générale, au sein du NHS britannique. 

À l'heure où les médecins libéraux réclament un choc de simplification, l'ex-directeur des hôpitaux au ministère de la Santé (de 1981 à 1986) milite également pour « une gestion transparente, permanente et contradictoire des nomenclatures ». Selon lui, les grilles tarifaires (CCAM technique notamment) sont non seulement « imposées » sans débat mais « toujours en retard ». Si bien que certains actes sont « surtarifés », quand d’autres sont « sous-tarifés », notamment en chirurgie.

« Au garde à vous » et « dans les cases »

Côté allocation des ressources, l'ex-ingénieur agronome est remonté contre l’Assurance-maladie et la Direction de la Sécurité sociale (DSS, ministère) dont la politique « ne dépasse pas le niveau de la règle de trois ». « On a un Ondam [objectif national de dépenses d'assurance-maladie] qui augmente de 3 % et donc, on récupère ces 3 % sur les différentes branches, jusqu’à l’hôpital de Carpentras... Ce n’est pas raisonnable ! », tacle l’économiste. Or, « quand on n’a pas d’arguments, la seule possibilité, c’est d’essayer de mettre tout le monde au garde à vous et de les faire rentrer dans les cases », poursuit-il.

Jean de Kervasdoué juge urgent de réformer le secteur hospitalier qui, à ses yeux, compte toujours trop d’établissements. « Nous avons 3 000 institutions hospitalières. Il y en a 2 000 en Allemagne, alors que les Allemands sont 25 % plus nombreux… », avance celui pour qui la carte hospitalière est « totalement inadaptée à la situation actuelle ». Si l’hôpital est devenu « corporatiste et bureaucratique », c’est aussi parce que l’État y aurait pris tout le pouvoir, au gré des réformes successives. Et, comme ce dernier « n’a confiance en personne », il « rajoute des normes et des règles dont la plupart sont inadaptées », voire « contradictoires », analyse Jean de Kervasdoué.

Enfin, le statut de la fonction publique hospitalière ne serait plus au goût du jour, faute de souplesse et d'agilité. L’économiste suggère de s’inspirer du statut des centres de lutte contre le cancer (CLCC), établissements de santé privés à but non lucratif. Et de vanter ce modèle des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), à l’image de l’Institut mutualiste Montsouris (IMM), des hôpitaux Saint-Joseph (Paris) ou Foch (Suresnes), dont l'« indépendance » leur permet « un vrai dialogue avec l’État et éventuellement l’Assurance-maladie ».


Source : lequotidiendumedecin.fr