Le point de vue du Dr Marie Msika Razon

Il est temps de penser autrement et de supprimer cette clause redondante

Publié le 18/10/2018
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Crédit photo : DR

Et voilà le « fameux » débat revenu au devant de la scène médiatique et politique, nécessitant de reprendre cette lutte, alors même que l’on pensait en France le droit et le libre accès à l'IVG acquis et indiscutables… À l origine, cette fois-ci, il ne s’agit ni d une énième manifestation populaire d un mouvement « anti choix », ni encore d’un insidieux site internet de désinformation, il s’agit d’une interview d’un médecin, et pas n’importe lequel : le président du SYNGOF… rien que ça ! Bertrand de Rochambeau, gynécologue obstétricien en exercice, a ainsi déclaré dans l’émission « Quotidien » diffusée le 11 septembre 2018 sur TMC que « nous (les gynécologues obstétriciens) ne sommes pas là pour retirer des vies » avant d’affirmer sans détour que, selon lui, l'IVG « est un homicide ».

Ces propos ont évidemment déclenché de vives réactions dans les milieux politique et médical mais aussi dans les médias.

Certains souhaitent maintenir absolument une clause de conscience spécifique à l'IVG pour les soignants : pourtant, il existe déjà une clause de conscience générale figurant dans l’article 47 du code de déontologie médicale et reconnaissant le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant légal mais contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles et éthiques. Alors pourquoi l’IVG n’est-elle pas considérée comme un acte médical « comme les autres » ?

Les chiffres parlent pourtant d’eux-mêmes : premièrement une femme sur trois est amenée à réaliser au moins un avortement au cours de sa vie et une grossesse sur cinq environ aboutit à une IVG. Il s’agit donc d’un acte médical fréquent (on dénombre plus de 200 000 IVG par an en France selon les chiffres de l’INED) et un réel enjeu de santé publique. Deuxièmement, les avortements clandestins dans le monde provoquent la mort d’une femme toutes les 9 minutes (selon les données récentes de l'OMS) ; c’est donc une cause de mortalité non négligeable lorsque des soins médicaux de qualité ne peuvent pas être prodigués.

On peut donc être amené à s’interroger là encore sur le refus de certains soignants à prendre en charge leurs patientes dans ce contexte.

En 1975, un compromis

En 1975, lorsque Madame Simone Veil présente son projet de loi, elle fait face à une opposition virulente massive, ce qui explique la nécessité à ce moment-là de proposer une sorte de compromis permettant son acceptation sous forme d’une clause de conscience spécifique mentionnée dans le Code de Santé Publique cette fois.

Mais cette clause est-elle encore nécessaire aujourd’hui ? Dans l’intérêt des femmes, de leur santé, de leurs doits et de leur liberté à disposer de leur corps, sûrement pas …. !

Alors, on doit se questionner sur qui est le vrai sujet dans l'IVG : est-ce le médecin, est-ce le couple (pour autant qu’il y en ait un), est-ce la morale, est-ce l’embryon ou est-ce la femme ?

Qui est en demande de soins ? Qui devra, quoiqu’il arrive -et les chiffres là aussi sont très clairs — trouver un praticien prêt à la prendre en charge ? En France, on estime entre 3 500 et 5 000 le nombre de femmes chaque année qui doivent partir à l’étranger pour réaliser une IVG lorsque le délai légal en vigueur est dépassé. Quand on questionne ces femmes, un motif revient fréquemment : elles se sont heurtées à des refus de prise en charge ou encore à des « mauvaises redirections » au cours de leur demande d'IVG pourtant formulée dans les délais légaux. Et ce sont là encore les plus précaires, les plus fragiles qui se retrouvent en difficultés car en France comme ailleurs, une patiente qui a décidé de ne pas garder sa grossesse trouvera des solutions parfois au détriment de sa santé malheureusement.

Un sujet éludé dans les études médicales

Ce qui revient aussi c’est l’idée (ô combien choquante), que le retrait de cette clause forcerait des praticiens à réaliser ce type d’acte au risque de « maltraiter » leurs patientes. Où est donc passé le principe d’empathie ? Mais peut-être y-a-t-il une réflexion à mener en amont de tout cela ; en effet, ne doit-on pas s’étonner de la faible place occupée par le thème de l'IVG au cours des études médicales ? Pourquoi éluder ce sujet, si fréquent et néanmoins constant depuis plus de 20 ans, une prise en charge à 100 % des frais inhérents à sa réalisation dans le cadre légal et des efforts certains en terme politique de santé publique et d’information…

En effet, au-delà de l’aspect légal et « médical technique pur », l’aspect éthique ne mérite-t-il pas d’être largement abordé ? Les étudiants en médecine pourraient alors réfléchir aux réels enjeux de l’IVG, questionner éventuellement leurs propres représentations bien souvent erronées, qui parfois les empêchent d’accompagner les femmes sans les juger, les culpabiliser, préférant les recommander à d’autres.

Et cela concerne tous les futurs médecins, pas seulement les internes en gynécologie. En effet, les médecins généralistes sont souvent en première ligne. Et pour eux aussi, seulement quelques heures de cours sur le sujet !

Il est temps de penser autrement, de supprimer cette clause redondante et d’arrêter d’entraver implicitement l’accès des femmes à l’IVG.

Dr Marie Msika Razon, médecin généraliste à Paris, exerçant au Mouvement Français du Planning Familial (Mfpf) et à l'hôpital des Bluets

Source : Le Quotidien du médecin: 9695