Promesse de campagne du candidat Macron, la convention citoyenne sur la fin de vie va s’ouvrir cet automne. Et déjà, les parties prenantes à ce débat, qui traverse la société française depuis des années, affutent revendications et arguments.
Ce n’est pas tous les jours qu’une promesse de campagne est intégralement tenue, qui plus est moins de six mois après les élections. C’est pourtant ce qui est sur le point de se produire avec la convention citoyenne sur la fin de vie : celle-ci figurait en toutes lettres dans Avec vous, le fascicule de 24 pages qui tenait lieu de programme au candidat Emmanuel Macron en mai dernier… et elle s'est engagée dès le mois d’octobre sous les auspices du Conseil économique, social et environnemental (Cese). En ligne de mire, une probable évolution de la loi Claeys-Leonetti, et une possible introduction dans le droit français du suicide assisté ou de l’euthanasie. En d’autres termes : c’est la principale réforme sociétale du quinquennat, et peut-être même la seule, qui se profile. Un rendez-vous que les acteurs militants, soignants ou institutionnels qui animent le débat sur la fin de vie dans le pays ont déjà commencé à préparer.
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« Nous avons le sentiment d’une perte de temps incroyable, il y a eu au cours de ces dernières années des commissions et des rapports par dizaines, il est grand temps d’avancer, estime ainsi Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Cette convention existe, nous allons jouer le jeu en espérant que, pour une fois, on écoutera les citoyens. » De l’autre côté du spectre militant, chez Alliance Vita, on affiche une position diamétralement opposée, mais on affirme la même volonté de participer aux discussions. « Nous accueillons cette convention avec beaucoup de circonspection, car nous ne comprenons pas pourquoi on ouvre la boîte de Pandore qu’est la fin de vie alors que, par exemple, on a refusé une loi grand âge, déclare son porte-parole, Tugdual Derville. Mais nous ne refuserons aucune invitation, et nous contribuerons au débat. »
Porter toutes les voix
Et chez ces deux organisations que tout oppose, on se retrouve à fourbir ses armes avec la même énergie. « Nous rencontrons les parlementaires, les anciens et les nouveaux, ceux qui ont un avis et ceux qui n’en ont pas, nous cherchons à parler à tout le monde, indique Jonathan Denis. Et nous voulons, lors de cette convention, faire entendre le point de vue des citoyens, car nous ne sommes pas qu’une association militante : nous avons aussi une ligne d’écoute sur laquelle nous recevons énormément d’appels sur les difficultés rencontrées actuellement sur la sédation, sur les départs qui se font en Belgique… Nous allons porter cette voix-là. »
Du côté d’Alliance Vita, la crainte qui domine est que les dés de la consultation ne soient pipés, et on cherche donc déjà activement à dépasser la future convention. « Le président de la République a laissé entendre par de multiples petites phrases la direction dans laquelle il souhaitait aller, et nous ne serons pas les dindons de la farce, prévient Tugdual Derville. C’est pourquoi nous sommes prêts à toute forme d’action, nous pensons que des sondages d’opinion peuvent permettre de remettre à plat les véritables priorités des Français, nous avons de nombreux porte-paroles, nous rencontrons les responsables politiques… » Et cet ancien pilier de la « Manif pour tous » d’ajouter que « des actions symboliques dans la rue » ne sont pas impossibles.
Les soignants sur le pont
Mais les militants ne sont pas les seuls à se préparer à la grande échéance qui se profile. Côté soignants, on est également déjà mobilisé. « C’est un sujet qui préoccupe beaucoup les Français, qui nous concerne tous, et il nous semble donc très important qu’il y ait un débat national », avance la Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). Débat dans lequel elle entend bien expliquer que « donner la mort n’est pas un soin ». Elle annonce donc la publication prochaine des résultats d’une « grande consultation » sur les positions des acteurs des soins palliatifs. « Nous avons également un travail de réflexion en cours avec d’autres sociétés savantes pour que nous portions une vision commune », ajoute-t-elle. Et l’ambition de la Sfap ne se résume pas à soutenir une vision purement soignante. « On entend beaucoup la parole de gens en bonne santé dans ces débats, et nous souhaitons que nos patients y prennent part également », précise Claire Fourcade.
Et si les professionnels des soins palliatifs se sentent naturellement concernés par la convention citoyenne en gestation, c’est aussi le cas d’autres spécialités, et notamment de la médecine générale. « La fin de vie est un sujet qui, bien qu’il ne constitue pas le quotidien des généralistes, est important pour nous, explique le Dr Charles-Henry Guez, vice-président du Collège de la médecine générale (CMG). Nous voyons bien par exemple que lors du Congrès de la médecine générale, les ateliers sur ce thème attirent beaucoup de monde. » Et ce praticien lyonnais d’ajouter que le CMG a « beaucoup de pain sur la planche » en vue d’aboutir, pour cette convention, à « des propositions qui seront portées par le président Paul Frappé ». En vue donc, « beaucoup de réunions entre praticiens, sans militantisme, et en présentiel, car ce sont des sujets sur lesquels nous avons besoin de nous rencontrer pour réfléchir ensemble », indique-t-il. Car sa conviction est que, contrairement à la volonté d’Emmanuel Macron qui souhaite aboutir à un résultat d’ici mars 2023, la fin de vie nécessite un débat qui doit échapper à « la pression médiatique » et s’étaler « jusqu’à la fin du quinquennat ».
Vers un débat informé et apaisé ?
Reste à savoir comment, selon les parties prenantes, les débats doivent se dérouler. L’une des préoccupations essentielles semblant être que les discussions se fondent sur une expertise solide, certains acteurs institutionnels estiment pouvoir apporter leur contribution ; c’est le cas du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), organisme placé auprès du ministère de la Santé qui, depuis 2016, assume une mission de structuration et de diffusion des connaissances sur la fin de vie. « Nous sommes un centre public d’expertise et de débat, la concertation est notre position naturelle », estime sa présidente, la Dr Sarah Dauchy. Cette psychiatre sait bien, par expérience, que les débats sur la fin de vie peuvent être houleux. « L’une des façons d’apaiser le débat est de permettre qu’il soit alimenté par des données fiables, des expériences croisées, que nous pouvons mettre à disposition », ajoute-t-elle.
Mais la tenue d’un débat informé et apaisé risque bien de relever de la gageure tant, pour l’instant du moins, les parties semblent s’ingénier à occuper tout l’éventail des positions possibles, sans jamais se recouper. Les futurs conventionnels entendront ainsi bien sûr des voix proches de l’ADMD, qui estime, ainsi que l’explique Jonathan Denis, qu’il faut « accepter que la sédation profonde et continue ne convient pas dans certains cas », qui rappelle que « certains patients n’ont pas envie de soins palliatifs », et qui appelle à « s’inspirer du modèle belge, qui a l’intelligence de reposer sur trois lois : une sur les droits des patients, une sur l’aide active à mourir, et une sur les soins palliatifs ». Les hôtes du Cese entendront également une parole inverse, celle des opposants résolus à l’euthanasie, qui comme Tugdual Derville d’Alliance Vita soulignent que « la confiance entre soignant et soigné est fondée sur le non-passage à l’acte des soignants ».
Des questions non rhétoriques
Entre ces deux extrêmes, les voix soignantes, sans être forcément divergentes, ne choisiront probablement pas de mettre l’accent sur les mêmes sujets dans l’enceinte du palais d’Iéna. À la Sfap, par exemple, on insistera sans surprise sur les ressources dévolues au secteur des soins palliatifs. « Avant de dire qu’il faut changer la loi, commençons par l’appliquer », demande la Dr Claire Fourcade. Celle-ci rappelle que « les deux tiers des patients qui ont besoin de soins palliatifs n’y ont pas accès », et qu’il y a « 26 départements où il n’y a pas de service de soins palliatifs ». « On ne manque pas de loi mais de moyens, estime-t-elle. Si la loi était appliquée, si nous avions davantage de moyens, la perception des Français selon laquelle on meurt mal en France serait peut-être différente. »
Du côté des généralistes, en revanche, on semble davantage enclin à mettre l’accent sur ce qu’une loi sur l’euthanasie changerait sur la relation médecin-patient. « Est-ce qu’un geste à visée léthale doit être quelque chose qui doit rentrer dans nos compétences au même titre que la vaccination ou le traitement de l’angine ? Comment un patient, qui nous connaît depuis des années, dans l’esprit duquel nous sommes un peu le gardien de la vie, va-t-il réagir si la pratique de l’aide à mourir entre dans le cadre de nos fonctions ? », s’interroge ainsi le Dr Charles-Henry Guez, qui précise qu’il ne s’agit pas là de questions rhétoriques, mais d’interrogations profondes qui doivent faire l’objet de discussions entre praticiens.
Face à cet éventail de positions sur la fin de vie, la convention citoyenne réussira-t-elle à faire converger vers un modèle faisant consensus ? La Dr Sarah Dauchy, du CNSPFV, veut le croire. « Si l’on s’en tient à une position militante contre une autre position militante, on a peu de chance d’y aboutir, concède-t-elle. Mais si l’on parvient à déporter le débat, à intégrer des questions comme celle du soutien aux soins palliatifs, il est possible de dépasser les oppositions binaires. » Aux conventionnels de relever le défi de ce dépassement…