Le bilan mitigé du Pay for Performance en Angleterre

Publié le 30/09/2022
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Instauré en Angleterre depuis près de 20 ans, le système a permis une amélioration des procédures de soin mais les résultats concernant la santé des patients sont à nuancer. Surtout, le système concentre l’énergie des médecins vers la recherche continue de nouveaux financements.

Près de 20 ans après son instauration, le P4P a bénéficié aux médecins, pas toujours aux patients

Près de 20 ans après son instauration, le P4P a bénéficié aux médecins, pas toujours aux patients
Crédit photo : VICTOR HABBICK VISIONS/SPL/PHANIE

Cinq ans avant le Capi (Contrat d'amélioration des pratiques individuelles) et sept ans avant la Rosp (Rémunération sur objectifs de santé publique) en France, le NHS service national de santé britannique, avait innové en lançant en 2004 un grand système de rémunération aux résultats (Pay for Performance) dans les soins de base, étendu à l’ensemble du pays. Officiellement appelé Quality and Outcomes Framework (QOF), le système a abouti à payer 25 % en plus les médecins, sous conditions de remplir certains objectifs cliniques et organisationnels.

« Pour comprendre, il faut rappeler que les médecins traitants (GP, general practitioners) possèdent leur propre cabinet, explique le Dr Rebecca Rosen, GP à Londres et responsable des politiques de santé au sein de l’institut Nuffield trust, un think tank qui réfléchit sur le système de santé. Ils ne reçoivent pas un salaire mais un pourcentage des profits une fois qu’ils ont payé toutes leurs dépenses. Ils génèrent leurs revenus par le biais d’un contrat avec le gouvernement britannique et ils reçoivent en plus des allocations pour tout un tas de chose comme la location et une rémunération forfaitaire pour chaque patient enregistré. »

Mais, avant 2004, aucun critère n’était pris en compte dans le but de mesurer les actions mises en place pour améliorer la qualité des services de soin. À cette époque ; le revenu des médecins avait baissé et les cabinets avaient du mal à recruter. Les autorités en charge de la santé ont donc voulu augmenter ces revenus mais sur en échange d’une amélioration qualitative des services.

« Au début, le fonctionnement était assez simple. Chaque domaine comprenait un certain nombre de points. Si vous obteniez tous les points, vous obteniez une certaine quantité d’argent en conséquence. Il suffisait de faire des choses très simples, comme mettre en place un registre, s’assurer que tous vos patients asthmatiques étaient identifiés, enregistrer leur pression artérielle au cours de l’année… », explique la Dr Rebecca Rosen.

Certaines pratiques sont devenues courantes dans tous les cabinets, les items correspondants ont par la suite été retirés du système de points pour être remplacés par de nouveaux critères. « Aujourd’hui, vous êtes payés sur la proportion de patients qui font de l’hypotension et qui ont leur tension contrôlée, sur la proportion des patients diabétiques qui ont leur HbA1c contrôlée… », indique la généraliste londonienne.

Plus tard, de nouveaux systèmes d’incitations financières ont été créés sur de nouvelles activités et aussi à l’échelle locale et non plus nationale. « Par exemple, dans un espace où il y a un mauvais accès pour les patients, les autorités qui financent à l’échelle locale peuvent fournir des fonds supplémentaires si l’équipe donne plus de rendez-vous ou se rend disponible sur des heures supplémentaires », poursuit Rebecca Rosen.

Des trous dans la raquette

Chaque année, le gouvernement introduit deux ou trois nouveaux services de financement et chaque cabinet peut décider de mettre ou non en place les services proposés pour obtenir ce gain supplémentaire. « Cela comprend des contrôles annuels pour les personnes qui ont des difficultés à apprendre, des services supplémentaires pour des gens qui vivent dans des institutions de santé… Après le Covid, ils ont décidé de créer des incitations pour identifier les femmes qui n’ont pas pu faire leur frottis ou pour diagnostiquer des personnes ayant des cancers, » rapporte la médecin.

Si le système a permis d’améliorer la pratique au sein des cabinets, il n’est pas pourtant pas sans défaut. « Les médecins passent énormément de temps à chasser les incitations financières, souligne la médecin et experte. Le risque, c’est qu’à chaque consultation, on ne se concentre pas forcément sur ce dont veut parler le patient mais ce sur quoi on nous paye. Des recherches montrent que le système permet d’améliorer les processus de soin mais pas nécessairement dans les résultats des soins. Les médecins se plaignent d’être distraits dans leur mission alors que cela ne permet pas de fournir des soins meilleurs. »

En 2018, un rapport sur l’instauration du QOF concluait que la mise en place du système ne s’est pas traduite par une baisse de la mortalité. S’il y a eu une amélioration de l’état de santé des personnes dont le problème était visé par une mesure d’incitation, la condition de celles souffraient de pathologies non couvertes par le programme a pu s’aggraver. Elles auraient été plus ou moins négligées.

« Nous n’avons pas assez de médecins en Angleterre. Une solution consiste à travailler main dans la main avec d’autres professionnels de santé tels que des infirmiers, des pharmaciens, les physiothérapeutes ou le samu pour qu’ils récupèrent une partie du travail des médecins, poursuit Rebecca Rosen. Mais comme tout le monde est trop occupé à chercher des mesures d’incitation, on n’a pas le temps d’imaginer d’autres façons de travailler. Il y a un débat en ce moment pour attribuer l’argent aux cabinets sans leur demander de relever toutes les données et leur laisser plus de temps pour réfléchir à la question. »

Exergue : Ancêtre de la Rosp, le QQF a profité à certains patients, pas à tous

Chloé Goudenhooft, correspondante

Source : Le Quotidien du médecin