La nouvelle classification des maladies mentales

Les jeunes psychiatres l'ont adoptée

Publié le 18/06/2015
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« Outil », « langage commun », « base de travail », la fonction attribuée au DSM fait consensus auprès des jeunes psychiatres. Le débat « pour ou contre le DSM », s’il existe, est laissé aux médias et aux grands pontes de la spécialité.

« C’est toujours les mêmes qui se bagarrent », observe le Dr Aurore Guy-Rubin, chef de clinique à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. « Il y a sans doute des enjeux politico-économiques, mais ces enjeux sont absents de notre quotidien, lorsque nous sommes au lit du malade », poursuit-il. Un constat partagé par Benjamin Lavigne, rédacteur en chef de la revue « Le Psy déchaîné » et interne en dernier semestre à Limoges : « Entre nous, le débat est beaucoup moins enflammé que les médias le laissent entendre. » Le DSM « cristallise les fantasmes », souligne le Dr Michel Spodenkiewicz, jeune pédopsychiatre, à la Pitié-Salpêtrière, qui regrette que certains opposants en méconnaissent le contenu.

La majorité des jeunes praticiens estiment que le DSM propose un cadre, utile pour les psychiatres débutants. « Indispensable », même, ajoute Benjamin Lavigne, pour « être clair avec nous-mêmes et avec nos patients ». « La vision du DSM est simpliste, mais elle a eu moins le mérite d’être organisée », ajoute-t-il.

Patrimoine historique

L’enseignement médical s’est enrichi depuis peu d’un référentiel de psychiatrie, uniformisé sur la base du…DSM. Mais pas seulement, souligne le Dr Pierre-Alexis Geoffroy, psychiatre, président de l’AESP (Association pour l’enseignement de la sémiologie en psychiatrie), et coordinateur de l’ouvrage (cf. encadré). Si les diagnostics sont « DSM-like », ils sont largement précisés, simplifiés et explicités. ils sont mis en perspective avec les dernières données neuroscientifiques, mais aussi avec les observations cliniques des psychiatres. Cet attachement au patrimoine historique de la spécialité est largement partagé par les jeunes psys. « En France, nous avons une histoire sémiologique riche de descriptions cliniques très fines, rappelle le Dr Geoffroy. Cette culture vient compléter le savoir minimum contenu dans le DSM. » Il n’est pas rare, ainsi, de retrouver dans la bibliothèque d’un jeune psy, un traité de Deniker, Henri Ey et/ou Kraepelin, le DSM, ou encore le « Stahl », ouvrage de référence de psychopharmacologie. « C’est en combinant ces différentes sources qu’on enrichit notre pratique de la psychiatrie », souligne le rédacteur en chef du « Psy Déchaîné », journal de l’AFFEP (Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie).

Lecture critique

Ni un manuel de sémiologie, ni une « bible » de la psychiatrie, le DSM est ainsi vu pour ce qu’il est : pas plus, pas moins qu’un manuel de classification des maladies mentales. Mais la génération Y des psychiatres a conscience des conflits d’intérêts, dont le DSM n’est probablement pas exempt. « Il faut rester vigilant », assène l’interne de psychiatrie limougeaud. « Lire entre les lignes des articles », ajoute-t-il, en s’appuyant pour cela sur la tant contestée « Lecture critique d’articles » imposée depuis 2009 à l’examen national classant (ECN). Le jeune psychiatre milite pour des enseignements ouverts à l’économie voire la politique, afin de « comprendre les enjeux financiers et sociétaux » des problématiques de la santé. Voir au-delà de la classification américaine, c’est aussi considérer la pathologie mentale autrement qu’en terme épidémiologique et neurobiologique. L’envisager sous une perspective plus globale et humaine. Un enseignement plus systématisé en sciences humaines répondrait-il à cette volonté ? Oui, s’accordent les psychiatres interviewés. « Il faut croiser les disciplines, surtout la psychiatrie, plaide pour sa part le Dr Guy-Rubin. La médecine doit rester une science, mais une science humaine. »

Humanisme et neurosciences

Si le codage en psychiatrie, basé sur les classifications – plus précisément sur la CIM-10 (Classification internationale des maladies) – fait redouter une mécanisation de la pratique clinique, la jeune psychiatre va à l’encontre de cette idée : « Mettre un code sur le compte-rendu d’un patient ne m’empêche pas d’écrire un historique plus élaboré. » En espérant que son lecteur s’intéresse plus à l’histoire de la maladie qu’au « diagnostic » inscrit en haut du courrier. Quoi de mieux qu’une fine description clinique pour appréhender la maladie d’un sujet ? Pour l’instant, rien, avance le rédacteur du Psy déchaîné. Qui, quoique satisfait des avancées du manuel, regrette que la 5e version du DSM n’ait tenu ses premières ambitions. À savoir : muscler les catégories diagnostiques des dernières données scientifiques. L’AESP, présidée par le Dr Pierre-Alexis Geoffroy, entend corriger ce défaut. « Notre groupe de travail planche sur la caractérisation d’entités cliniques plus valides que celles du DSM-5, plus utiles en pratique clinique et propices à une médecine plus personnalisée ». Mettre en lien la sémiologie et les données scientifiques fondamentales accumulées, telle est leur ambition. « Nous n’avons pas la prétention de réussir là où le DSM a en partie échoué, mais de mettre à profit les nombreuses avancées scientifiques à ce jour sous-utilisées », précise le psychiatre. La relève des jeunes psys, est en marche, plus dynamique que jamais.

Dr Ada Picard

Source : Le Quotidien du Médecin: 9421